dimanche 20 juillet 2008

La Recrue grandit et déménage

La Recrue du mois a presque un an. Le bilan de cette première année a poussé l'équipe de rédaction à se poser des questions et à prendre des décisions.

Ne vous inquiétez pas, la Recrue gardera son mandat et mettra en lumière tous les mois un premier ouvrage de fiction d'un auteur québécois. Cette vitrine unique culminera le 15 avec les commentaires de lecture de chacun d'entre nous. Cette année, nous tenterons de systématiser davantage notre recensement des médias pour vous faire connaître le point de vue des uns et des autres sur les Recrues et nous vous offrirons davantage d'entrevues inédites avec les auteurs. Une grande nouveauté: le Repêchage nous permettra de commenter d'autres premières oeuvres québécoises qui malheureusement n'auront pas été choisies Recrue (parce qu'il n'y a que 12 mois dans une année!).

Finalement, la fin de cette première année verra la nomination de nos Recrues de l'année. L'équipe de rédaction est en train de comptabiliser ses coups de coeur pour mettre en lumière les quelques ouvrages qui nous ont le plus marqués. Mais avant cela, il nous reste la Recrue du mois d'août qui est annoncée aujourd'hui.

Or, pour mettre toutes ces nouveautés en place, l'espace ici nous semblait un peu restreint, alors on déménage. Rendez-vous sur le nouveau site de la Recrue, ajustez vos signets, vos fils RSS et vos références:

mardi 15 juillet 2008

Une appréciation en yo-yo

Ils sont tous jeunes, ils sont tous un peu paumés. Ils boivent trop souvent, fument trop souvent. Se cherchent. Veulent des bébés, veulent des couples. Et y arrivent parfois. Mais pas toujours et pas toujours très bien. On dirait presque que ça se passe près de chez moi? C'est un peu ça! L'auteure a mon âge et c'est un peu moi en blonde, quoi!

Quand j'ai commencé à lire ce bouquin, je n'étais pas du tout dans l'état d'esprit pour me faire raconter des histoires d'amour déprimantes, pour entendre parler de ma génération qui ne sait pas s'attacher et pour qu'on déprime tous en coeur. Pour les Québécois, j'ai vraiment eu l'impression de me taper Horloge biologique version femelle. Non, merci! Et puis, soudain, est-ce mon humeur ou la teneur des nouvelles, mais à partir de la page 80 (Bobby Bibbo se fait kidnapper) j'ai embarqué, quitte à jetter un regard moins drastique sur les premières nouvelles que j'avais lu. Je m'avoue un coup de coeur pour cette nouvelle ainsi que les deux nouvelles abordant les frères dont l'un (un, vraiment?) est psychotique (Garçon en mauvais état et Y'a pas d'espoir pour les bizarres). Ce n'est probablement pas un hasard que les deux nouvelles m'ayant plue davantage sont celles qui ne portent pas sur les dérapes amoureuses et les doutes des filles de mon âge. On dira ce qu'on voudra, il arrive un jour où t'es tanné de t'entendre et là j'avais l'impression de m'écouter.

C'est bien écrit quoi qu'un peu pragmatique pour mes goûts. Certaines nouvelles ont un ton plus typé (utilisation de l'infinitif à répétition) qui marque bien la lassitude... quitte parfois à me lasser. Pour ce qui est des chats, ils sont bien là. Parfois j'ai eu l'impression qu'ils étaient plaqués un peu (bon vous savez comme je suis frétillante sur les détails insignifiants!). Mais le titre est tellement génial que ça valait quelques chats accessoires.

Chatisfaction (plus ou moins) garantie

Les auteurs ont des approches fort différentes de la nouvelle et, d’une certaine façon, c’est peut-être ce qui fait le charme des recueils mixtes. Quand un auteur, comme ici Véronique Papineau, décide de publier un recueil de ses nouvelles, le danger rôde forcément que le ton devienne un peu trop uniforme d’un texte à l’autre et que le lecteur en tire un moins grand plaisir que s’il avait lu chaque nouvelle de façon indépendante. En ajoutant le défi supplémentaire d’inclure des félins dans chacun de ses textes (sauf un), la jeune auteure a ici joué le tout pour le tout.

Les chats deviennent tour à tour personnages principaux (Petite histoire avec un chat dedans, Claude le chat ayant plus de substance que ses propriétaires), témoins (Garçons en mauvais état, nouvelle rendue avec sensibilité), victimes (Bonbons à la menthe et Dormir très mal, qui auraient eu intérêt à ne pas être présentées l’un à la suite de l’autre), échos à la narration (Bobby Bibbo se fait kidnapper, touchante histoire de fuite adolescente et La mort d’un chat, terrible calvaire amoureux) ou participant récalcitrant (Traitement contre les puces, qui m’a donné l’impression diffuse d’avoir été plaquée là).

La plume de Papineau est précise, souvent acerbe, vaguement désabusée, représentative sans doute d’une certaine vingtaine blasée et surtout blessée par ses relations amoureuses ratées. On y plonge d’abord avec plaisir, avec l’impression de se faire raconter pour la xe fois la même aventure qui tourne mal par une copine, le nom des acteurs masculins devenant presque interchangeables, comme si toutes les nouvelles (sauf deux) se voulaient plus ou moins déclinaisons de cette première histoire. J’y ai d’abord cru volontiers, riant jaune à quelques reprises, appréciant la folie qui se dégageait de certaines pages (la rencontre des protagonistes de Bonbons à la menthe reste mémorable). Et puis, comme lorsqu’on est allergique aux chats, j’ai fini par me lasser, regretter de les avoir lues à la suite. Pas d’espoir pour les bizarres, magnifiquement amenée, m’a réconciliée avec le recueil mais alors, il n’en restait plus qu’une…

Petites histoires à pattes de velours

D’abord, j’ai été séduite par la couverture de ce livre. Il y a beaucoup de sensualité et quelque chose de coquin dans la posture de la jeune femme nue, portant de voyants bas rayés et des souliers rouges. Oui. Quelque chose de coquin, de nonchalant, peut-être. Et ce chat, dans le coin. L’air de rien…

Il faut savoir que, malgré cette aguichante couverture, j’entreprenais la lecture de Petites histoires avec un chat dedans (sauf une) avec suspicion. Car je ne suis pas une grande lectrice de nouvelles, connaissant peu le genre. Mais je suis une amoureuse des chats. Ça oui!

J’ai eu une excellente surprise, finalement. Car les Petites histoires de Véronique Papineau sont intelligentes, bien tournées. Les personnages, bien que le lecteur ait peu de pages pour se familiariser avec eux, sont souvent bien campés, solides. Et le style des nouvelles varie. Pour ma part, j’ai aimé particulièrement celles écrites en mode infinitif, Dormir mal et Traitement contre les puces.

Évidemment, les chats vont et viennent, dans ce livre. Parfois occupant la place centrale du récit, parfois à peine visibles (ou audibles!) pour le lecteur. Quant à Véronique Papineau, elle fait montre d’un souffle et d’une sensibilité qui lui donnent une grande capacité d’évocation. Elle crée des univers bien pleins en quelques pages. Et les portraits qu’elle dresse des tourments humains sonnent juste.

Ainsi, on trouve, au fil des mots de Véronique Papineau, les qualités propres aux félins : fluidité, adresse, mystère. Le tout dosé à pas de velours.

Un recueil de nouvelles réussi !

Après mon loupé du mois dernier pour cause de non-approvisionnement (une commande oubliée...), me voici de retour avec la Recrue ! Ce mois-ci, c'est un recueil de nouvelles qui est à l'honneur.

Dans chaque nouvelle, Véronique Papineau nous raconte une histoire d'amour : amours ratés, amours trahis, amours fraternels, amour adolescent. Et l'amour des chats aussi. Car le titre de ce recueil n'est pas trompeur : il y a bien un chat dans chaque histoire - plus ou moins mis en avant - sauf dans une, Sauf une.

Et chaque histoire m'a touché ! Pas une seule ne m'a laissé indifférente... Toutes sont pleines d'émotions. Impossible de rester indifférente !

Bien que chaque nouvelle ne tienne que sur quelques pages, nous entrons tout de suite dans l'histoire et les personnages sont immédiatement bien campés. Pour moi, c'est quand on arrive à cela que je trouve qu'une nouvelle est réussie ! Car l'exercice est difficile : il faut qu'en seulement quelques phrases, le lecteur accroche aux personnages et à l'histoire, afin qu'il ne reste pas sur le pas de la porte. Dans le cas de ce recueil, c'est réussi !

Voici donc un recueil de nouvelles que je vous recommande vivement !

Les chats ne retombent pas toujours sur leur pattes

J’ai retardé ce moment. Celui d’écrire mon commentaire sur le recueil de Véronique Papineau. Je n’étais pas inspiré. J’avais un pré-syndrome de la page blanche : avant même de m’y mettre, je savais que je ne saurais pas quoi en dire. Quoi dire sur des textes qui nous paraissent comme de simples feuilles de papier imprimées de tâches d’encre ? Comme des histoires, certes, mais qui ne volent pas, ni en solo ni accompagné d’un lecteur, moi en l’occurrence? J’aurais voulu pourtant. « Petites histoires avec un chat dedans (sauf une) », n’est-ce pas là un titre vivifiant, comme une promesse d’humour et de légèreté? J’ai bien échappé quelques petits rires, mais j’ai oublié pourquoi – ce qui n’est, déjà, pas très bon signe et ne m’aide pas vraiment à compléter cette note. Cela m’aurait vraiment fait plaisir de pouvoir écrire sur son originalité – que je m’étais préparé à savourer avec un tel titre – ou encore sur un style nouveau et coloré. Mais comme seule option, j’en suis contraint à introduire Petites histoires avec un chat dedans (sauf une) en parlant de mon incapacité à l’introduire. Un peu inquiétant, non?

Attention. Ne pensez pas que j’ai en horreur le recueil de Véronique. C’est de l’indifférence, tout simplement. Je n’ai ni détesté, ni aimé. Je n’ai pas été captivé, intéressé, c’est tout. Le concept du chat dans chaque nouvelle, c’était bien, mais je n’étais pas impatient de commencer une nouvelle petite histoire pour savoir dans quel contexte ce chat surgirait. Sa façon d’écrire, son style, je l’ai vu davantage comme l’édition de six heures des nouvelles que comme une poésie romanesque. Pas que je ne cherche nécessairement la poésie dans un roman ou un recueil de nouvelles, mais j’exige habituellement quelques métaphores, quelques images que je puisse par la suite associer à l’œuvre. Quelque chose de consistant à se mettre sous la dent.

Mon cahier de citations et d’extraits s’est donc étoffé de quelques lignes seulement. L’un des rares fragments que j’ai pris en note : «Ce boulot est comme les mauvaises pauses commerciales intercalées entre les épisodes de ma vie. » Une phrase très représentative de l’assemblage de textes que propose l’auteure, car c’est justement sur le thème des difficultés de vivre dans notre société «délurée» et grise que les nouvelles de Véronique Papineau s’exposent. Ça et les épreuves de l’amour. Sur les douze, au moins cinq histoires-d’amour-compliquées-qui-finissent-mal. Ne m’étais-je pas trompé? N’avais-je pas commencé à la mauvaise page? Relu une nouvelle à nouveau? Non, c’en était une toute neuve, mais bâtie sur la même idée, selon le même manuel d’instruction, la même recette. J’ai fini par en faire une surdose. Dans le lot, une seule que j’ai appréciée, Pas d’espoir pour les bizarres. Un peu de suspense et de quoi faire réfléchir. Un espoir de dernière minute, puisque le texte se situe sous presque 150 pages d’un livre qui en contient 176. Mais bon, au moins, la fin m’aura laissé une meilleure impression.

Petites histoires avec un chat dedans (sauf une) va surement se perdre dans ma bibliothèque, c’est vrai. Je ne vous le conseillerai donc pas. Mais je suis persuadé qu’il a plu à d’autres et, par conséquent, je les laisserai, eux, tenter de vous convaincre d’en faire lecture.

Quand le chat se fait charme

Il était une fois douze petites histoires sur fond “chat”, sauf une. Je dis « petites » histoires car ce sont réellement de petites histoires, dans le sens de courtes, oui, mais pour leur apparente légèreté aussi. Si on gratte un peu ce style simple, dans le sens d’un peu ordinaire, on touche à des réalités assez lourdes, ce qui m’amène à dire que cette légèreté est trompeuse. Le ton ne sonne pas faux pour autant et une intéressante diversité se présente dans cette palette aux « je » masculin, féminin, ado ou même névrotique. L’uniformité se retrouve plus dans une constante de ton et de style, que de personnages, ainsi que dans la connivence de l’apparition du « chat » dans les histoires.

Comme pour tout recueil de nouvelles, l’on en aime certaines plus que d’autres, et le hasard (est-ce le hasard ?) a fait en sorte que les meilleures se sont retrouvées à la fin pour moi. Je fouille encore pour trouver une explication ; est-ce que je me serais habituée au style que je trouvais plutôt anodin au début, ou les histoires ont-elles vraiment pris de l’étoffe ?

Cela s’approcherait même d’une escalade grimpant lestement jusqu’à ma préférée, la toute dernière Lettres of love, Bobby Bibbo se fait kidnapper, la sixième nouvelle, jouant le rôle de point de virage pour passer de l’ordinaire à plus particulier. « La mort d’un chat » m’a aussi beaucoup captivé, peut-être trop puisque la fin a proportionnellement déçu mes attentes. Cette nouvelle contenait-elle trop de profondeur ? Sa fin, plus qu’un aboutissement ou un éblouissement, a ressemblé à un roman avorté. « Extra vierge » et « Traitement pour les puces » ont une part d’originalité appréciable, ne serait-ce que par leur titre, en égard à certaines autres.

Le charme de ce recueil, parce qu’il en a un, est le lien « chat » et, pourquoi pas le souligner, sa si attrayante couverture. Ce n’est pas une quantité négligeable, le charme. L’intérêt, lui, va pour ce glissement sur la surface d’événements graves, avec énormément de naturel, il y a là un art que l’on ne saurait passer sous silence

vendredi 11 juillet 2008

Le goût des autres

Eric Paquin signe dans le Voir de cette semaine une critique fort élogieuse de La peau des doigts de Katia Belkhodja, notre recrue de juillet.

On peut notamment lire dans sa critique: « Porté par une écriture syncopée, flirtant avec l'oralité et soutenue par toute une gamme de répétitions poétiques, le roman de Katia Belkhodja séduit avec ses belles figures d'apatrides qui reconstituent l'histoire de leurs origines à partir de leurs déplacements géographiques et de leurs rencontres amoureuses. La nouvelle plume à la fois sensible et exigeante qui s'y déploie est celle d'une authentique écrivaine. »

Pour lire l'intégralité de l'article, c'est ici.

vendredi 4 juillet 2008

samedi 28 juin 2008

Dans le Elle Québec...

POUR RIRE JAUNE
Elle n'a pas 30 ans, elle signe ici son premier livre, et c'est un régal. C'est léger, plein d'humour et de petites méchancetés. Douze histoires en tout, avec un chat dedans. Sauf une. Douze histoires sans lien apparent entre elles. Sauf deux. Où on retrouve deux frères: l'un dépressif, psychotique, et l'autre normal. En apparence. Douze histoires punchées. Sauf peut-être une ou deux, qui tombent un peu à plat. Douze histoires qui parlent de tout, de rien, de la vie, quoi. De la vie avec – ou sans – chat. De la vie plate des esseulés. De la vie moche des frustrés. Mais pas seulement ça. De la vie rêvée, aussi. Du désir, de la sexualité. Douze histoires où l'auteure fait entendre une vraie voix. Et met le doigt là où ça fait mal, sans avoir l'air d'y toucher. Miam!

dimanche 22 juin 2008

La recrue du mois dans Le Devoir du week-end

La faculté qu'il a de pouvoir marcher parmi les livres et les encriers sans rien déranger, de tourner autour de l'ordinateur en ronronnant, fait de lui le compagnon idéal des écrivains. De tout temps il les a fascinés, ils lui ont rendu hommage. «Si vous voulez être écrivain, ayez des chats», disait Aldous Huxley.

Suzanne Giguère, Petites histoires plein d'humour, tendres et cruelles, Le Devoir du samedi 21 et dimanche 22 juin 2008

Pour lire la suite de l'article, si vous êtes abonnés au Devoir sur Internet, cliquez ici.

vendredi 20 juin 2008

La Recrue de juillet:Petites histoires avec un chat dedans sauf une, Véronique Papineau.

Ils s’étaient rencontrés de la manière la plus dangereuse qui soit. Ils s’étaient rencontrés à 120 km/h sur l'autoroute. Ils s'étaient rencontrés en excès de vitesse. Elle transportait une grosse mouche dans sa voiture depuis Ottawa, lui venait tout juste de syntoniser une chanson des Stones à la radio. Elle avait dépassé sa Mazda rouge et avait jeté un coup d’oeil à l’homme qui conduisait, comme elle se trouvait à sa hauteur. Il l’avait vue le regarder. Il l’avait trouvée jolie et avait décidé de la redépasser. Cette fois-là, elle avait pris le temps de lui glisser un sourire. Elle l’avait suivi de près pendant quelques minutes, attendant la suite. Puis, il s’était mis à ralentir, à descendre sous les 110 km/h. Elle avait enclenché son clignotant et s’était rangée sur la voie de gauche. Avec un gros marqueur noir, il avait inscrit un numéro de téléphone sur une feuille qu’il étampait maintenant dans sa vitre. Elle avait farfouillé dans son sac à la recherche de son cellulaire, avait composé le numéro.

L’art de la légèreté. Le coup de griffe qu’on n’a pas vu venir, la caresse qui déchire, le don de toujours retomber sur ses pattes. Un écrivain qui écrit des nouvelles se doit de partager de nombreuses qualités avec le chat.

Dans ce premier livre, Véronique Papineau révèle une maîtrise hors pair.
Qu’elle raconte l’histoire d’amants qui rompent par la poste, la solitude de la vie de bureau, la fugue de deux adolescents dans la grande ville, chacune de ces scènes de la vie contemporaine prend un relief inattendu. Rien ici de banal : tout comportement est soumis au regard de cette fine observatrice et raconté avec un ton unique qui fait les vrais écrivains.

Réf.: Petites histoires avec un chat dedans sauf une, Éditions Boréal, 2008, 184 pages.
ISBN-13 978-2-7646-0596-7

dimanche 15 juin 2008

Talent en provenance d'Alger

De la peau, des craies de couleurs et des dizaines de crêpes. Des personnages. Deux jumeaux rêveurs, un artiste et un autiste. Une grand-mère kabyle au cœur brisé et à la colère éternelle. Une cousine aux doigts brûlés, à bout de tristesse. Deux Celia. Une dentiste narcoleptique. Une petite fille qui pleure, une autre qui veut savoir pourquoi on enlève ses souliers à l’entrée des mosquées. Marguerite Yourcenar, la morte, Doña, la fille aux boucles d’oreilles. Une phrase : « Le ciel est encombré de bleu.» Et puis finalement des lieux pour accueillir cette bande et ses errances. Montréal, Paris, Casa Blanca. Quelques quais de la Seine, aussi.

Pour un premier roman, Katia Belkhodja s’engage dans le monde littéraire avec poigne. Le titre et l’odeur de la couverture, même si, parfois, cela ne veut rien dire, on fait en sorte qu’à l’ouverture du livre, je m’attendais à quelque chose de bien. J’ai eu plus que j’espérais, un style à part, une vision éthérée, un bijou de littérature migrante. La façon qu’a l’auteure d’exposer de simples histoires humaines et les réflexions, les images, qu’elle incorpore à ces histoires m’ont presque empêché de lire : je n’avais de cesse de plier, replier et plier par-dessus la pliure les pages de l’œuvre, action à laquelle je m’adonne lorsque je considère qu’un passage doit être noté, afin de ne pas en perdre la beauté et le sens. Vous aurez compris, presque toutes les pages du roman de Katia gardent aujourd’hui la cicatrice de la fascination qu’elles m’ont procurée.

En fait, ce que nous offre La peau des doigts, outre ses personnages chimériques, c’est un monde en soi. Vous me direz « Mais, Maxime, chaque roman nous fait découvrir un univers.» Certes, je ne puis qu’acquiescer à cette affirmation. Mais l’univers de ce roman-ci est tout à fait hétéroclite : c’est notre monde, mais une autre réalité. Une réalité libre de toutes conventions sociales et de tout manifeste sur la normalité. C’est un monde sécant au nôtre, un endroit où l’absurde est banal et où le banal est absurde. Le lire, c’est accepter une autre conception du sens de vivre, d’autres lois de la physique. C’est l’univers de La peau des doigts, tout en simplicité et en subtilité, une création de l’auteure qui lui a permis de faire évoluer ses personnages dans un environnement sans limites. Une dimension-parallèle dans une œuvre qui n’a pourtant rien à voir avec la fiction.

Katia Belkhodja peut également se vanter d’autre chose que sa capacité à créer des personnages et des univers hors du commun : son style. Loin de prétendre que j’ai lu tous les styles littéraires existants ou que je suis un expert en la matière, je crois pouvoir affirmer sans grande chance de me tromper que le sien est unique. Les mots, les tournures, la ponctuation, tout semble choisi dans un élan naturel pour créer un ensemble qui se tient par lui-même. On dit souvent que les lecteurs donnent vie aux personnages et aux lieux d’une œuvre. Dans ce cas, j’irais jusqu’à dire que le style seul suffit à faire exister le texte de Belkhodja. Et en ce sens, je m’autorise déjà à utiliser l’expression « du Katia Belkhodja » pour parler de son unique ouvrage, car je suis convaincu que son originalité et son style robuste mèneront l’algérienne qu’est Katia à devenir une écrivaine renommée au Québec, et, je lui souhaite, même au-delà.

Évidemment, je ne vois d’autre possibilité que de vous conseiller de courir à la librairie du coin acheter La peau des doigts et de vous imprégner de ses mots. De mon côté, il ne me reste plus qu’à espérer que ce livre n’était pas son dernier!

Gratter le rêve sous la vie

Katia Belkhodja nous propose avec ce premier roman un billet simple pour l'ailleurs: vers le pays là-bas où l'on parle le kabyle, vers un Paris où le gris prime et les rêves déchus se ramassent au fond des fontaines, vers un Montréal qu'on découvre sous un jour entièrement différent, avec le regard de ceux qui restent en marge de la société, par nature, par hasard, par choix. Ce roman ne se dévore pas en deux heures à peine, malgré la minceur de la plaquette. Il doit s'apprivoiser, doucement. On doit laisser les bribes d'histoire se sédimenter, un peu mêle-mêle, dans un curieux assemblage qui ne ressemble à rien de connu. Certains passages rappellent les mystérieuses histoires arabes, d'autres découpent le langage, le morcellent, puis le déposent afin qu'on s'en approprie une parcelle.

Solitudes désenchantées qui se frôlent, s'enflamment à l'occasion mais jamais ne se fondent l'une dans l'autre, les personnages du roman sont esquissés à traits flous, ponctués ça et là d'éléments particulièrement vibrants. Si on cherche une cohésion narrative, une linéarité dans le récit, on devra abdiquer. Si on accepte de laisser l'histoire nous imprégner comme un songe éveillé, on entendra au détour le chant du muezzin, le clapotis de l'eau dans la fontaine, les crêpes qui sautent dans la poêle, le métro qui entre en gare, les insectes croqués sur le vif, les pensées des protagonistes, la vie qui bat, avec toutes ses désillusions. « À Montréal, des fois, il fait si bleu qu'il y en a partout, dans tous les coins. Du bleu. De la lumière. Il y a cette impression d'être Boris Vian. Que le ciel est un arrache-cœur. » (p. 44)

Malgré sa jeunesse, Katia Belkhodja possède déjà une voix unique, qui lui permet de marier des éléments poétiques à la banalité du quotidien. « Je nous ai repéré un arbre comme on se prend une table dans un restaurant quatre étoiles » (p. 20) ou « L'imparfait de l'indicatif est le temps le plus douloureux qui soit » (p. 22) ou encore « On est montés dedans, la fontaine Saint-Michel, l'eau saturée de vœux cuivrés, avortés, l'eau rouillée d'amertume. » (p. 36) J'attendrai avec plaisir son prochain roman pour apprécier si les images prendront la profondeur de l'expérience.

Brûler d'intensité

« J’avais ta chair arrachée entre les dents ». C’est ainsi que commence le roman de Katia Belkhodja, La peau des doigts.

Phrase difficile à cerner. Sens propre ou figuré? Figuré, sans doute. Le lecteur s’en convainc au fil de sa lecture qui le mène au long d’un récit où s’enchevêtrent les destins de personnages atypiques. La narratrice, d’abord. Ensuite, la grand-mère kabyle, les jumeaux artistes dont l’un s’est amouraché de Marguerite Yourcenar, la cousine qui porte le même prénom que la grand-mère, l'amie dentiste atteinte de narcolepsie. Il y a aussi Doña que la narratrice interpelle mais qui reste énigmatique.

Le récit lui-même est celui d’une quête. Celle de la grand-mère sur les traces d’un amour perdu. Celle de la cousine, meurtrie par le deuil de sa mère. Celle de Gan, le jumeau autiste, à la recherche de son auteur fétiche. La narratrice, elle, s’inclut dans ce qui va la mener de Montréal à Paris, en survolant, par l’entremise des souvenirs des autres, l’Algérie, la côte de la Méditerranée et le nord de l’Afrique. Le lecteur, une fois habitué à cette narration plus onirique que concrète, se laisse prendre par la main aux côtés de ces improbables compagnons de voyage.

On se perd un peu dans ce tout petit roman. Peinant parfois à replacer les personnages, les lieux, les événements qui finissent par devenir flous, difficiles à cerner. Mais l’écriture vaut qu’on s’y arrête. Surtout quand on sait que l’auteur, Katia Belkhodja, a écrit son roman à 21 ans.

Ce détail à l’esprit, la lecture s’enrichit. Car le talent éclate sur ces pages, c’est indéniable. Il ne s’agit pas d’un roman parfait, mais les yeux sont happés par des envolées évocatrices et inspirées, qui brûlent d'intensité:

« Je me suis réveillée quand elle est arrivée, elle a éclaté de rire. Comme ça, sans raison. Un rire qui ne s’arrête pas. Un rire jusqu’à pleurer. De ces rires en fer barbelé qui te font mal dans et autour de toi. À avoir peur d’y être, d’en approcher, ce rire. Il y a des gens comme ça qui savent rire la douleur. Des gens qui ont crevé de solitude. Elle rit comme elle chantait un jour. Il y a des gens qui chantent et puis des gens qui rient, puis des gens qui écrivent et des gens qui ne font rien et ils crèvent. Tous. De solitude. » (p. 33)

Oui. Il y a des gens qui écrivent comme Katia Belkhodja.

Tomber en amour

Il m’est impossible de résumer cette histoire quelque part entre rêve et surréalisme. Il y a les deux jumeaux évoqués précédemment, il y a la narratrice, il y a sa grand-mère Célia, la grand-mère berbère, et sa cousine Célia en deuil. Et il y a la dentiste. Et il y a la petite Magdalène. Et il y a Doña à qui s’adresse tout ça.

Mais est-ce vraiment important cette histoire ? Ceux qui aiment les récits narratifs dans la plus stricte expression du terme seront nécessairement déçus. Ceux qui aiment la poésie ne le seront pas. J’ai adoré ce livre dont l’atmosphère onirique m’a complètement happée pendant des pages et des minutes et encore des pages et des minutes. Chaque phrase existe en elle-même avant de devenir avec ses sœurs moins un récit qu’une mélopée. Ou une prière peut-être ? Ce livre serait un mantra que cela ne m’étonnerait pas.

Alors de quoi ça parle. D’art : «L’art, c’est mordre dans l’éphémère.» Ça parle de littérature : «Il paraît qu’on écrit toujours au présent, même ce qu’on a déjà écrit.» Ça parle de sentiments : «Il y a des jours, des fois, on est dans le désespoir d’être. Et puis des jours, des fois, le bonheur sauvage d’être.» Ça parle des relations intergénérationnelles : «Il n'y a jamais rien qu'on puisse faire face à la douleur des vieux parce qu'on ne peut même pas les appeler bébé. Ou leur dire le temps qui passe. Ils le savent déjà, eux, que ça ne passe pas.» Ça parle d’exil : «Immigrant ça veut dire touriste. Pour un peu plus que la vie entière.» Ça parle d’amour aussi bien sûr : «Il y a quelque chose d’une catastrophe naturelle dans les yeux de l’amour blessé.» Et ça parle de peau…

Bien entendu, il y a aura des pas à faire. Peut-être le prochain sera plus accessible, moins touffu quitte à se perdre. Mais comme j’ai aimé ce livre ! De cet amour un peu triste parce qu’on sait qu’il ne sera pas toujours facile à partager.

Mauvaise étiquette peut-être ?

Comment résumer cette histoire qui fuit dans ses personnages qui eux-mêmes fuient le pays de leur mal-être ? Se fuient. Finalement. Mes deux dernières phrases (mots entre deux points) donnent une petite idée du style entrecoupé, saccadé, convulsif, répétitif. J’ai essayé la lecture à haute voix pour l’entendre et peut-être arriver à l’apprivoiser et ça sonnait un peu comme l’apocalypse.

Mais je reviens aux personnages que je ne suis pas pour fuir, même s’ils se fuient. Il y a des jumeaux dont un autiste, et l’autre est peintre (est-il autiste aussi, je ne suis pas certaine). Il y a deux Celia, une cousine de la narratrice et la Celia, grand-mère. Et ces Celia se promènent d’un endroit à l’autre, avec des fascinations pour le métro, les crêpes, l’argent que l’on jette dans une fontaine pour la chance mais surtout une phrase de Marguerite Yourcenar « Le ciel est encombré de bleu ». Ah oui, il y a Dona (petit signe sur le n) avec qui tout commence et tout finit. Il ne faut pas oublier non plus la dentiste narcoleptique dont le rôle se résume à être une narcoleptique qui au réveil ne semble pas plus réveillée. Une part importante de l’histoire, ou du malaise ambiant qui s’étire de tous côtés, tourne autour du deuil de la mère de Celia, dont la grand-mère, Celia, est la mère. Encore là, une démonstration que la dernière chose qu’il faille attendre de ce texte est la clarté.

Est-ce que les rêves, s’entend ceux que l’on fait les yeux fermés, sont clairs ? Répondre à cette question est répondre que cette histoire doit se prendre comme un rêve, non comme un roman avec une histoire. En tout cas, moi, cela a été ma survie de lectrice qui doit lire jusqu’au bout, sans s’endormir. D’ailleurs, la narcolepsie et l’autisme, sont des genres de fermeture à la réalité.

Les mots contenant une vie en soi se portent par eux-mêmes, nous transportent comme de la poésie à l’état brut. Le mieux est de s’y laisser couler et certaines fois on exulte et d’autres, on s’assoupit. Qui se bat contre l’assoupissement quand il doit lire ? Moi ! Alors, cette lecture a été assez souvent un combat. Combat mené aussi contre mon rationnel et mon désir de clarté. Les deux ont dû se taire pour faire place aux mots. Cela m'a donné l'impression d'être cachée dans la tête de quelqu’un qui rêve et ce n’est pas une expérience que j’ai trouvé facile.

Pourtant, je m’arrêtais parfois devant la vitrine des mots exposés, dans leur état d’objets joliment regroupés, remplie d’admiration, bouche bée. J’en ai déduis que cette Katia Belkhodja a le talent de la poésie plus que du roman, delà mon titre ; mauvaise étiquette peut-être ?

vendredi 13 juin 2008

Parfum de poussière de Rawi Hage récompensé

Une excellente nouvelle : Rawi Hage et son premier roman, Parfum de poussière, notre recrue de mars, viennent de remporter l'International IMPAC Dublin Literary Award, un des plus grands prix de littérature au monde! Il est seulement le deuxième auteur canadien à recevoir un tel honneur, doté d’une bourse de 150 000$ (la plus grosse bourse au monde). Le choix a été fait à partir d’une sélection de 137 titres en provenance de 45 pays.

Chantal Guy de La Presse en parle ici aujourd'hui.

dimanche 8 juin 2008

Quartier Libre rencontre Katia Belkhodja

Valérie Manteau
Quartier Libre
Journal indépendant des étudiants de l'Université de Montréal

La peau des doigts commence par ces mots : « J’ai ta chair arrachée entre les dents ». Pourtant, au premier abord, Katia Belkhodja ne ressemble pas à son livre. Chaleureuse, elle cache sa timidité derrière de grands éclats de rire. Cette Montréalaise d’origine algérienne, étudiante au baccalauréat en littérature française à l’Université de Montréal, publie son premier roman chez XYZ.

Dans l’entrée du Caféo, sur la rue Rachel au coin de Saint-Denis, Katia Belkhodja s’amuse avec un petit garçon de cinq ans à peine, fasciné de la voir si souriante. À table, derrière un chocolat chaud, elle dit bonjour aux gens qui passent, même si elle ne les connaît pas. Les voisins qui travaillent à leur ordinateur lui jettent des regards intrigués. Il faut dire que, pendant près de deux heures, elle parle en riant sans arrêt, tant qu’elle en a les larmes aux yeux. Toujours entre deux émotions, souvent dans le second degré, Katia Belkhodja est une personnalité aussi difficile à cerner que les nombreux personnages de son roman, La peau des doigts. En la voyant, on repense au début du livre, au moment où la narratrice s’adresse à une très sensuelle Doña, à la bouche pulpeuse et à la voix de gamine.

En parallèle

Quand une question l’interpelle, elle se fige, songeuse : « je ne sais pas d’où elle vient cette histoire. J’avais cette phrase en tête, “j’ai ta lèvre arrachée entre les dents”, et je suis partie de ça. » Au fur et à mesure qu’elle se raconte, on reconnaît quelques éléments autobiographiques, la grand-mère kabyle, le garçon rencontré dans le métro et Doña, la fille au prénom « tellement beau ». On reconnaît surtout cette façon très particulière de s’exprimer, des phrases courtes, abruptement interrompues, reprises en escalier. Elle approuve l’idée que le lecteur, perdu dans le roman, finisse par se sentir en osmose avec les personnages. « Eux aussi, ils sont totalement perdus », dit-elle. De pays en pays, chacun se cherche et voit se diluer le lien de ses origines. Katia Belkhodja, elle, se dit Québécoise ou Algérienne, selon ce qui l’arrange. Elle regrette de ne pas parler la langue de son pays d’origine : « Je pourrais me débrouiller en arabe pour sauver ma vie, mais pas plus », dit-elle en riant. La peau des doigts est une quête de filiation, d’identité, qui passe aussi par la littérature : le jeune Gan se prend de passion pour la grande écrivaine française Marguerite Yourcenar, au point de se poster devant l’Académie française en espérant la voir. Katia avoue sans complexe que, lorsqu’elle a commencé à raconter cette histoire, elle ne savait pas que Marguerite Yourcenar était morte en 1987 ! Plutôt que de modifier ce qu’elle avait déjà écrit, elle décide que son personnage apprendra, lui aussi, au milieu du livre, que son idole est décédée il y a 20 ans...

Au fil de la plume

Le roman de Katia Belkhodja est envoûtant, empreint d’une nostalgie diffuse, soit celle du pays natal perdu au fil des migrations successives de personnages déracinés. Une errance, de l’Algérie à Montréal, en passant par Paris, dans laquelle le lecteur est lui aussi sur le point de se perdre. Elle raconte volontiers que la première version de son texte était bien plus difficile à suivre. Son éditeur, André Vanasse, lui a demandé de faire un gros travail pour « rassembler » les multiples histoires qui se croisent. Elle imite, en joignant les mains et avec une voix grave, son éditeur lui demandant de démêler le récit pour le rendre compréhensible : « On ne se souvient plus de ce personnage ! Malheureusement, le lecteur n’est pas dans la tête de Katia Belkhodja ! » Après presque un an de travail, le roman est sorti en librairie le 6 mars dernier. Quand on lui a demandé si elle avait des idées pour la couverture, Katia a haussé les épaules. Pour elle, il est temps de se détacher de ce projet entamé en 2006. Après 10 mois d’une rédaction intermittente, elle hésite longuement avant d’aller le porter chez un éditeur. Poussée par ses proches, elle se décide finalement… Mais, au lieu de tenter sa chance dans plusieurs maisons d’édition, elle se contente de le déposer chez XYZ ! « Pourquoi ? Parce que j’aime bien marcher à pied, raconte-t-elle, hilare, quand elle réalise l’incongruité de sa réponse, avant de préciser : XYZ c’est la maison d’édition la plus proche de Berri- UQAM. » On ne voit toujours pas trop le rapport, mais on n’en saura pas plus. Elle raconte en revanche qu’elle a marché jusqu’à Boréal, mais qu’elle est arrivée après la fermeture. Chez Leméac, elle est ressortie en courant. « Finalement, résume-t-elle en riant, ça a été beaucoup de sport, la publication ! ». Quand, cinq mois plus tard, XYZ l’a rappellée pour la publier, elle était en Suisse dans le cadre d’un échange universitaire. Le livre a dû attendre, comme l’aboutissement d’une errance, que son auteure nomade rentre au pays.

mercredi 21 mai 2008

Sur Kabylie Watch

La jeune auteure dont on parle aujourd’hui, Katia Belkhodja, vient de mettre au monde un premier roman, La peau des doigts, où les personnages marchent longuement, comme s’ils se cherchaient dans le dédale d’un passé flou, presque effacé. À force de chercher, des points de repères se précisent, des images surgissent, des visages se modèlent. Une histoire de tendresse s’inscrit dans la mémoire d’une grand-mère kabyle pendant qu’en parallèle la narratrice s’adresse à Doña, une « fille qui ne sert à rien dans l’histoire », qu’elle reconnaîtra toujours grâce à ses boucles d’oreilles, avec une phrase-choc : « J’ai ta chair arrachée entre les dents. » De cette manière rebelle, aux dents acérées, on fera connaissance avec une capitale, Paris, où l’auteure situe des femmes qui lui sont certainement chères. Entre fiction et réalité. Quelle part de vérité ou de mensonge aborde-t-on à vingt et un ans ? La vie est encore à l’état de rêve ou de cauchemar selon le pays d’où l’on vient. Immigrer n’est pas toujours faire du tourisme mais une manière de survivre aux différents malheurs qui nous ont fait fuir vers un ailleurs incertain. Marcher, aller de l’avant, n’est-ce pas aussi marcher vers l’arrière ? On s’étourdit dans la fatigue, on se perd dans le bruit, le cœur en rage... On observe les inconnus que l’on croise, qui nous doublent. L’impression demeure - même si elle est trompeuse - de vivre un avenir surprenant tellement il annihile les « choses qui font si mal qu’il faudrait se dépecer pour s’en défaire. »

Aidée d’un style hoqueté, débridé, d’une écriture abrupte, Katia Belkhodja dresse des personnages d’hier et d’aujourd’hui, un décor urbain qui est celui du métro parisien, des quais de Seine. Des fontaines. Celle de la place Saint-Michel, celle de l’esplanade de la Place-des-Arts. La grand-mère kabyle, Celia, attend en vain son amant algérien qui, malgré sa promesse, n’est jamais venu la rejoindre à Paris. Elle se remémore le petit garçon qui la guettait sous le noisetier. Il y a l’autre Celia, la cousine, qui ne s’est jamais consolée de la mort de sa mère. Pour noyer son chagrin, elle fait des crêpes et se brûle la peau des doigts en les cuisinant. Les jumeaux, Gan et Fril, rencontrés par hasard à Paris, accompagnés de la petite fille Magdalène, poursuivent un chemin à peine tracé dans la peau de la main. Fril est peintre, Gan est autiste, amoureux fou de Marguerite Yourcenar. « Il ne dormait plus, ne mangeait plus. Il ne faisait rien, que relire les Mémoires d’Hadrien... » Une phrase le hante, soi-disant écrite par l’illustre écrivaine : « Le ciel est encombré de bleu. » Avec la narratrice, ils se pointent devant l’Académie française, espérant que Marguerite sorte de l’auguste bâtiment. En vain. Ils finiront par savoir par le Net qu’elle est morte en 1987, enterrée dans le Maine... Il y a aussi la dentiste chez qui tous squattent, elle est « l’arrière-petite-fille de la danseuse de tango », qui était venue au village autrefois ; elle a appris « aux idiots à danser, merveilleusement bien, le tango. » Des affiliations familiales, peut-être autobiographiques, se nouent. Celia, la cousine, la narratrice ne sont-elles pas les petites-filles de Celia, la grand-mère kabyle ? L’auteure elle-même est algérienne. La peau des doigts s’avère une quête de l’identité déracinée ainsi qu’un hymne à toutes les peaux, qu’elles soient noires, brunes - mates - ou blanches.

Un brin de nostalgie, beaucoup de gravité - et d’humour - imprègnent ce roman. On erre de l’Algérie à Montréal, en passant par Paris. Plusieurs références symboliques ont trait à la souffrance, aux regrets, à la solitude. Aux êtres qui défendent des causes pour le bien-être des humains, des animaux, de la nature. On ne se demande pas quel sera le deuxième roman de Katia Belkhodja, on est assuré que cette jeune femme de vingt et un ans possède un talent indéniable que son éditeur devra surveiller de près, l’auteure étant à l’âge des « rires jusqu’à en pleurer », du tout blanc du tout noir. Aucune nuance, aucune concession. Cet âge tendre et révolté à la fois, ne prête attention qu’à la déchirure de la peau, les égratignures seront pour plus tard... L’auteure, entremêlant ses lèvres à celles de la fille aux boucles d’oreilles, n’avoue-t-elle pas qu’elle a « toujours été une enfant. » ? On lui souhaite de grandir un peu pour avoir le bonheur de la lire longtemps.

mardi 20 mai 2008

La recrue du mois de juin: Katia Belkhodja, La peau des doigts.

« Ma grand-mère attendait dans le métro de Montréal comme elle devait avoir attendu dans le métro de Paris quand il lui avait donné rendez-vous, là-bas. Ma grand-mère sait que tous les métros du monde sont les mêmes, musique animale, rugissement d’entrailles. Les grandes villes accouchent à chaque station d’une multitude grouillante. »

Il est des romans qui nous laissent l’âme un peu triste. La peau des doigts est de ceux-là. Les personnages qui y circulent sont comme des nomades égarés. Ils courent après des rendez-vous ratés. C’est le cas de la grand-mère Celia, qui a attendu toute sa vie l’arrivée de son amant, lequel n’est jamais venu. Voyez les jumeaux : Gan est autiste, Fril est peintre. Ces deux-là errent dans les villes. Ils sont absents et intenses à la fois. Avec la narratrice, ils sont à la recherche de Marguerite Yourcenar. Ils la croient à Paris, à l’Académie où elle n’est pas, pas plus qu’au Père-Lachaise, elle qui a été enterrée dans le Maine, aux États-Unis. Et puis, il y a Celia, la nièce de la grand-mère, qui se meurt de la mort de sa mère. Inconsolable, elle fait des crêpes pour oublier. Elle se brûle la peau des doigts en les retournant…

Mais toute cette tristesse n’empêche pas l’humour de poindre à chaque page. Et la poésie aussi, parce que ce roman est un poème à la peau, à toutes les peaux, celle des Kabyles, car la grand-mère vient d’Algérie, autant que la peau des jumeaux. Aimer, c’est caresser, c’est manger des lèvres, c’est s’habiller de la peau de l’être aimé et c’est souffrir de sa présence trop intense tout autant que de son insupportable absence.

Aimer, c’est lire La peau des doigts, un roman écrit par une jeune auteure de vingt et un ans, née en Algérie, et qui nous fait voyager dans les mots, dans les villes, dans les rêves…

Réf.:
La peau des doigts, XYZ Éditeur, 2008, 102 pages.
ISBN: 978-2-89261-501-2

jeudi 15 mai 2008

Lecture en parallèle...

Tel un coquillage à la coque d'un bateau, Karine s'accroche en douce à La Recrue. Elle a aussi lu le Petit guide et disons qu'elle y a trouvé un goût un peu moins sucré que nous... Vous pouvez lire sa critique ici.

Le soleil est au rendez-vous...

La couverture rose bonbon est à l’image du contenu : de l’humour, des filles fifilles, aucune prétention d’être le prochain Nobel et de la légèreté au kilo. C’est une belle histoire d’amitié (et drôle !) entre femmes complices, originales et désireuses que tout le clan soit heureux. J’ai apprécié l’ajout de vocabulaire inventé en bas de page (couplitude, doduitude, Plateau-ien, etc.), les concepts existaient, il ne s’agissait que d’y coller une étiquette, elle l’a fait, et l’a bien fait. Un livre pour les 15-25 ans ou à ajouter dans ses valises, car même avec quelques « drinks » sous le casque, il est parfaitement possible de suivre l’évolution d’Anne (ou la décroissance de son orgueil) et c’est parfois un facteur à ne pas négliger lorsqu’on est en vacances à la plage… ou à la piscine ! Ce n’est pas le genre de littérature qui m’attire en général, il m’est donc difficile de comparer, mais je peux dire sans équivoque que c’est de la Chick lit sympathique! C’est aussi un rappel pour les beaux jours qui arrivent, rentrez le ventre les filles…

Jouer le jeu de l’amour et du (non) hasard

Dès les premières phrases, j’ai réalisé que je n’avais pas affaire à un roman ordinaire, qu’il correspondait au graphisme de la couverture typique à un magazine féminin humoristique. Pourquoi ne pas étendre la définition étroite du roman me suis-je dit, et j’ai essayé de jouer le jeu et d’y prendre plaisir. Parce qui dit jeu dit souvent plaisir, bonne rigolade, humour.

L’auteure Annie (L’Italien), je l’ai tout de suite identifiée à Anne, le personnage principal qui reçoit en cadeau de fête un voyage au Club Med orchestré par ses ingénieuses copines. Annie et Anne ont de l’humour à revendre. L’histoire en déborde à tel point que le « bas de page » est noirci par des définitions cocasses de mots inventés. Aussi bien l’avouer tout de suite, je ne les ai pas tous lus. Je me suis lassé de l’humour pour l’humour. C’est très personnel, j’aime le rire né de la surprise, qu’on me déjoue, qu’on me saisisse au moment où je m’y attends le moins. À partir du moment où la blague est entendue et attendue, j’ai tendance à rester imperturbable et je peux jusqu’à m’ennuyer un peu même. J’ai tout à fait conscience que c’est personnel et je m’imagine facilement que ce lexique avait de la matière pour se bidonner.

D’ailleurs, le lexique était à l’image du propos, généreux, pas hermétique, joyeux, pas prétentieux. Très bon enfant.

Le « jeu » concocté par les amies d’Anne pour son anniversaire veut faire la démonstration qu’elle pèche par orgueil et que c’est la raison qui empêche Cupidon de traverser son cœur d’une flèche trempée dans la fiole amour. L’idée est bonne et je trouvais que c’était une manière originale de présenter la parfaite comédie romantique. Ce qui m’a empêché de me délecter est le côté parfaitement prévisible. Je comprends pourtant que dans ce genre d’histoire, on joue le jeu, après avoir eu peur que tout bascule dans un drame X, suite à un malentendu, on a l’assurance absolue que les amoureux qui se battent contre leur amour vont finir heureux parce que fait un pour l’autre. J’ai déjà vu et lu cette formule et il m’arrive d’y prendre plaisir, je n’y suis pas allergique.

Pourtant, cette fois-ci, la course au trésor avec ses cartons semés par ci et par là, m’est apparue si évidente que cela m’a enlevé le plaisir de jouer à la peur, au doute, au frisson. Les règles du jeu étaient archi simples, trop simples à mon goût, faut-il croire.

La fin et sa proposition de plusieurs fins m’a amusé pour le plaisir de choisir. J’ai choisi la première option et j’ai eu droit à un gros paragraphe un peu platement écrit. Du coup, je suis allé parcourir très rapidement les autres fins et j’ai compris que je n’avais pas choisi la fin idéale d’après la définition de l’auteure, celle où on ne passe pas tout de suite l’éponge et qui s’étire sur quelques pages plus subtilement amenées.

En bout de fins (une ou trois), je ne dénigre pas ce roman qui a le mérite de se démarquer par son genre « chick lit » tout à fait assumé mais pour moi, c’est un rendez-vous manqué.

Il faut parfois savoir s'assumer

Je l'avoue d'emblée: j'étais très réticente à lire ce titre, n'étant pas particulièrement portée sur la chick lit. Le Petit Guide de l'orgueilleuse (légèrement) repentante d'Annie L'Italien était à peine arrivé chez moi que mon adolescente avait mis la main dessus avec un plaisir gourmand : « Ça a l’air vraiment bon! Dépêche-toi de le lire que j’aie le temps, moi aussi! » Alors, un peu en grinçant des dents, j’ai ouvert cet objet rose identifié, à la typo aérée qui m’a vaguement rappelé les Aurélie Laflamme dévorés par l’ado en question, justement. Et puis, là, je l’avoue, j’ai craqué. J’ai plongé dans l’histoire (au scénario relativement convenu, admettons-le) avec un plaisir coupable. Si les longues descriptions du début (histoire de bien placer tous les « personnages » i.e. les amies d’Anne) m’ont paru un tantinet surfaites, une fois l’héroïne débarquée au paradis (pour ceux qui apprécient les Club Med), le rythme s’est accéléré de façon significative et j’ai suivi avec envie la chasse au trésor organisée par les copines (j’aimerais bien avoir de telles amies dans mon entourage…) et j’aimais bien l’idée d’être complice de cette histoire d’amour improbable (même si arrangée avec le gars des vues) entre deux écorchés.

Bon, d’accord, le style n’est pas exceptionnel et je n’ai retenu qu’un seul passage dans mon carnet de lecture. « Ça tombe plutôt bien, Philippe me donne justement envie d’écouter du jazz. Je n’ai aucune idée de ses goûts musicaux, mais c’est comme ça. Je peux difficilement l’expliquer. C’est sans doute parce que pour moi, le jazz représente le mieux l’idée que je me fais de ce qu’un couple devrait être; il crée une ambiance d’intimité, de chaleur, de sensualité, de vulnérabilité, de douleur aussi. Plus que tout autre musique, le jazz vient du cœur et s’adresse à mes triples, beaucoup plus d’ailleurs que toutes ces ballades pop quétaines et bourrées de clichés. » (p. 118) Mais, tout de même, c’était rondement mené par Anne (euh, pardon, Annie) L’Italien et purement jouissif par moments. (Les notes de bas de page sont souvent délicieuses, un ajout intéressant ici qui parfois ralentit la lecture mais souvent fait pouffer de rire.) Deux jours auparavant, Daniel Pennac expliquait à Tout le monde en parle qu’il considérait la qualité d’un livre au nombre de stations de métro ratées quand il le lisait. J’ai fait bien attention parce que, tant qu’à jouer cartes sur table (on est entre filles, là, « on jase » pour citer Guy-A Lepage…), j’ai effectivement failli rater ma station deux fois plutôt qu’une. En 24 heures à peine, j’avais terminé. Le lendemain, ma fille a fait de même (dans les mêmes temps). J’ai presque regretté de ne pas l’avoir acheté : ça aurait été un chouette livre à partager lors d’un prochain souper de filles, justement. À la place, je me suis dépêchée de le rapporter en bibliothèque pour qu’une autre ait le plaisir (coupable ou non? À vous de juger…) de le lire.

Une lecture fraîche et drôle !

Alors que l'été approche à grand pas (enfin... à Paris, hier il faisait 27°C et aujourd'hui plus que 20...), la Recrue prend de la légèreté en ce mois de mai !

Fini les récits tristes et durs des dernières recrues, voici une comédie romantique qui met le sourire aux lèvres et du baume au coeur !

Serait-ce l'orgueil d'Anne qui l'empêche de rencontrer l'amour ? Cet orgueil qui « l'aurait trop souvent empêchée d'oser rigoler/pleurer/chanter/vivre pleinement » (4ème de couverture) ? C'est ce que pensent ses quatre copines : Bianca, Christine, Dominique et Esther. Ces dernières décident alors de la mettre au pied du mur pour son anniversaire... Elle lui offre une chasse au trésor aux Bahamas. Cette chasse au trésor, pleine de surprises, va pousser Anne hors de ses retranchements. Et qui sait ? Peut-être rencontrera-t-elle aussi l'amour ?

Cela faisait très longtemps que je n'avais pas lu de comédies romantiques (a.k.a chick-lit). C'est donc avec plaisir que je me suis plongée dans ce premier roman d'Annie L'Italien et je n'ai pas été déçue !

J'ai passé un très bon moment en copine d'Anne et de ses copines, je l'ai suivi avec plaisir lors de sa chasse au trésor. C'est frais, c'est léger, c'est drôle et quelques surprises pimentent le tout.

Annie L'Italien écrit aussi avec humour : Anne, la narratrice, s'adresse à ses lecteurs, l'auteur parsème son roman de titres drôles et Anne leur propose même de décider de la suite des événements (enfin de la fin de l'histoire).

De plus, la construction alterne le récit d'Anne et le journal de... enfin je ne peux pas vous en dire plus sous peine de gâcher le suspense ! ;-)

A noter que ce livre est plein de tournures et vocabulaires québécois (il y a quelques notes en bas de pages qui aident à s'y retrouver, sinon je vous conseille ce site (Merci, Lucie, pour le lien !)), ce qui est un régal pour la Française que je suis !

Juste pour l'fun :
« Frenché : du mot French. Comme dans "Elle a le French facile". Anglicisme québécoisement reconnu et utilisé pour remplacer le ronflant "Elle donne des baisers français à quiconque croise son chemin", qui signifie que le sujet a l'habitude de coller spontanément ses lèvres sur celles d'un inconnu, d'ouvrir la bouche et d'introduire sa langue dans la bouche de l'inconnu, un type de baiser dont on attribue l'invention aux Français, au même titre que les tresses et les frites, mais en plus l'fun. » (p.25)

Voici donc une chouette lecture, fraîche et drôle, à consommer sans attendre, surtout avec les beaux jours qui arrivent !

Quand l’orgueil baisse (un peu) la garde

De quoi a besoin une trentenaire un peu orgueilleuse pour sortir de son quotidien et aller voir ailleurs si elle y est? D’un congé un peu spécial, organisé par ses copines. Plage, soleil et bonne compagnie. C’est ce qui attend Anne à son arrivée au club Med. Tout semble parfait, voire trop parfait…

Alors que se pointe enfin le printemps, voici que j’ai fait ma première incursion dans le monde de la « chick litt », cette littérature destinée aux jeunes femmes et écrite par des jeunes femmes. Et, franchement, l’expérience n’a pas été désagréable. Un peu de légèreté et d’humour tombaient à pic!

Le Petit guide pour orgueilleuse (légèrement) repentante n’a pas la prétention de nous emmener nulle part ailleurs que dans un univers qu’on connaît assez bien : un cercle d’amies de longue date, intimes, rigolotes. Attentives les unes aux autres, et décidées (parfois) à se mêler de la vie des autres et de bousculer le hasard au besoin.

J’ai souri souvent au détour des phrases du roman d’Annie L’Italien, notamment en lisant ses définitions pseudo-sérieuses en note de bas de page destinées à éclaircir certains termes langagiers plus ou moins usités. Termes connus des lecteurs, pour la plupart, mais dont la définition, elle, sort un peu de l’ordinaire. Juste assez pour nous extirper un demi-sourire. Prenons par exemple : « Zénitude : art de respirer par le nez et d’avoir en permanence un sourire niaiseux. État de ceux qui veulent se sentir comme s’ils venaient de fumer du pot sans avoir à fumer du pot. » (p. 36)

Ne cherchez donc pas de réflexions profondes sur la vie, sur la littérature ni même un style particulièrement travaillé dans ce Petit guide. Et n’y cherchez pas non plus de « guide » à grand-chose. Cependant, vous y trouverez chaleur, rire, amitié et gros bon sens. Un petit livre tout à fait charmant qu’il fait bon savourer en attendant les vacances.

Plaisir coupable

Aucun suspense ici. Dans ce livre toutes les cartes sont mises sur la table d’entrée de jeu. Le lecteur (la lectrice !) sait bien qui est Philippe, ce qu’il fait là au même moment qu’Anne et le lecteur (la lectrice !) voit bien tout le potentiel de cafouillage qu’il y a dans cette situation mais espère quand même que tout ça va bien finir parce que bon, hein, on voit bien que c’est un livre qui ne peut pas finir trop mal.

Je déteste la page couverture de ce livre. Quand je le lisais dans le métro je me reprochais de ne pas avoir de sac de papier brun à me mettre sur la tête. Serais-je un peu snob ? Sans aucun doute. Et nous sommes ici dans le royaume du plaisir coupable. Je reste bon public pour ces ‘livres de filles’ à la Bridget Jones. J’avoue avoir beaucoup ri à certains moments, souri à d’autres et m’être reconnue cent fois. Mais bon, c’est cousu de fil blanc, parfois un peu redondant et la narration directement aux lecteurs (aux lectrices !) rappelle le blogue.

Ça fait autant de bien que la fois où tu te permets un McDo préférablement dans une ville étrangère pour être bien sûre de pas tomber sur une collègue de travail en sortant. Ça fait du bien, mais ça reste du fast-food. Je vais quand même le recouvrir de papier brun (non, mais c’est quoi cette page couverture !) et le prêter aux copines aussi célibataires que moi qui pourront soupirer en se disant qu’un jour elles percuteront aussi un grand brun frisé aux yeux verts dans un aéroport de Nassau.

lundi 5 mai 2008

Annie L'Italien répond aux questions de Caro[line]

Après l'entrevue virtuelle où Annie L'Italien, notre Recrue du mois de mai, nous parlait d'écriture, elle a accepté de répondre à mes questions sur ses lectures.


- Etes-vous une grosse lectrice ?

Oui et non!! Oui lorsque je n'écris pas, non lorsque j'écris. Premièrement par manque de temps, mais aussi parce que j'ai trop peur que ça m'influence! Lorsque je lis pendant des périodes d'écriture, je privilégie des romans au style très différent du mien.


- Comment choisissez-vous vos lectures ?
(magazine, librairie, au hasard, 4ème de couverture, blog, etc.)

Un peu de tout ça! À partir de recommandations d’ami(e)s aussi. Mais on a beau dire, la couverture et le titre du bouquin jouent gros sur la première impression. J’aime bien découvrir un auteur, puis acheter tout ce qu’il a écrit. Généralement, je lis pour me divertir et m’évader plus que pour me casser la tête. Je trouve que je passe assez de temps dans ma vie à réfléchir et à analyser, je préfère ne pas avoir à le faire dans mes loisirs !


- Avez-vous un auteur ou un livre culte ?

J’aime beaucoup relire certains romans, c’est généralement un bon indicateur de la place qu’ils ont pris dans mon cœur. Les romans que j’ai relus le plus souvent sont ceux de Daniel Pennac. J’aimerais être adoptée par la tribu Malaussène. Au Québec j’ai un faible pour les deux romans de Guillaume Vignault, mais je n’en suis pour l’instant qu’à deux relectures.


- Quel est votre dernier coup de cœur littéraire ?

J’essaie désespérément d’aimer Henning Mankell, ma sœur m’a prêté un sac plein de ses romans. J’ai commencé son premier il y a plusieurs mois, et je n’arrive pas à me laisser emporter, probablement parce que dernièrement je n’ai souvent que quelques minutes consécutives à consacrer à la lecture. Mais parlant de romans policiers, mon dernier coup de cœur est certainement Dennis Lehane.


- Comment lisez-vous ?

Puisque j’habite seule, je lis souvent en mangeant. Mais il n’y a rien de mieux que de passer quelques heures enfoncée dans un divan, les pieds sur un pouf, un café dans une main et une œuvre délicieuse dans l’autre.


Merci, Annie, d'avoir accepté de répondre à mes questions !

samedi 3 mai 2008

Chez cyberpresse.ca...

Valérie Gaudreau
Le Soleil
Québec

S’il est une chose qu’on peut dire de Petit guide pour orgueil­leuse (légèrement) re­pen­tante d’Annie L’Italien, c’est bien que l’apparence ne trompe pas. Pas de doute, la typographie fantaisiste et le rose bonbon de la couverture servent le propos de ce roman issu de la pure tradition de la chick lit (pour «littérature de filles»), dans la foulée des Bridget Jones et autres Sophie Kinsella, où l’univers tourne autour des copines et où le magasinage est élevé au rang de thérapie. Dans le genre, le premier roman d’Annie L’Italien passe la rampe. L’orgueilleuse en question, c’est Anne, 35 ans, célibataire au bord du «simili-burn-out» qui se voit offrir par ses amies un voyage au Club Med. Un séjour sous forme de chasse au trésor où elle rencontrera aussi Philippe, un célibataire trop parfait pour être vrai. Tellement parfait, en fait, qu’il n’est peut-être pas sur son chemin par hasard… Malgré quelques trouvailles et une écriture vivante — bravo pour les sympathiques notes en bas de page, un bémol pour l’abus de parenthèses —, Annie L’Italien ne révolutionne rien. Mais ce Petit guide… est un roman à prendre pour ce qu’il est : un bon divertissement sans prétention, vite consommé, peut-être vite oublié, mais amusant.

lundi 21 avril 2008

Entrevue virtuelle avec Annie L’Italien, auteur de Petit guide pour orgueilleuse (légèrement) repentante paru chez Québec/Amérique

Nous aurions aimé rencontrer Annie L’Italien lors du Salon international du Livre de Québec, mais l’auteur n’y participait pas. Elle a cependant accepté de répondre aux questions de La Recrue du mois par écrit. Voici notre « entretien ».

La Recrue : Comment vous êtes-vous mise à l’écriture?

Annie L’Italien : Je suis un peu tombée dedans quand j’étais petite. Ça a toujours été un plaisir d’écrire, ce n’est pas pour rien que je me suis dirigée vers les communications. Mais l’écriture dans-le-but-d’en-faire-un-roman, c’est relativement récent. Quelques unes de mes copines qui aimaient lire mes courriels me répétaient que je devrais écrire un roman, alors je leur en ai écrit un! Les amies d’Anne, le personnage principal de mon roman, sont justement basées sur ces copines parce que j’avais envie qu’elles se reconnaissent là-dedans. Entre un manuscrit envoyé aux amies et un manuscrit envoyé à des éditeurs, il n’y avait qu’un petit (hum) pas à franchir.


L. R. : Avez-vous rencontré des difficultés dans votre démarche d’édition?

A. L’I. : Je pense que j’ai été chanceuse, ça a été relativement simple. J’ai envoyé mon manuscrit à 3 maisons d’édition, et Québec Amérique a dit oui ! J’étais assez hystérique merci. Le processus de publication n’a pas été trop douloureux non plus, j’ai travaillé avec mon éditrice pour peaufiner le texte, entre autres pour s’assurer qu’il ne restait plus d’inside jokes écrites pour les copines et que le lecteur moyen ne pourrait sans doute pas saisir. J’avoue que j’étais assez étonnée que ce ne soit pas plus compliqué que ça, et surtout étonnée que mon bouquin soit effectivement publié. J’avais comme une peur latente de recevoir un coup de fil du genre « finalement, on a changé d’avis, on ne publiera pas votre roman, meilleure chance la prochaine fois ». Mais ça n’est pas arrivé, ouf.

L. R. : Que pensez-vous de l’affirmation qui veut que l’écriture, ce soit 10% de talent et 90% de transpiration?

A. L’I. : Hum… pas tout à fait d’accord. Je dirais 25% de talent, 25% d’inspiration, et 50% de transpiration.

L. R. : On parle de plus en plus de « chik litt », cette littérature écrite par des jeunes femmes trentenaires qui écrivent pour les jeunes femmes. Vous associez-vous à cette littérature?

A. L’I . : Absolument ! Quand j’ai commencé à écrire mon roman, il n’y en avait que très peu sur le marché, et la plupart venaient d’Angleterre. Quelques années plus tard, c’était la folie ! J’ai failli laisser tomber, je n’étais pas certaine de vouloir suivre la vague et exploiter un filon déjà très couru. Mais en même temps, c’était vraiment ce type d’histoire que j’avais envie d’écrire et qui correspondait le mieux à mon style d’écriture. Je me suis aussi raisonnée en me disant que la chik litt était en voie de devenir un genre en soi, au même titre que le roman policier, et qu’on n’a jamais trop de romans policiers sur le marché ☺.

L. R. : Que pensez-vous de la littérature québécoise? Pensez-vous qu’elle a le rayonnement qu’elle mérite?

A. L’I. : Sans doute pas. Je ne connais pas suffisamment l’industrie pour me permettre de commenter, mais j’entends souvent parler de la « localité » de nos œuvres, et je n’y crois pas. Oui il y a des références culturelles particulières qui risquent de ne pas être saisies par tous les lecteurs, mais c’est comme ça qu’on apprend à découvrir le monde ! Ce n’est pas parce que je n’habite pas à Paris que je ne peux pas apprécier Daniel Pennac.

L. R. : Avez-vous d’autres projets d’écriture actuellement? Si oui, sont-ils dans la même lignée que votre « Petit guide »?

A. L’I. : Oui, non, peut-être… Je suis en grande réflexion sur le sujet ! On me demande beaucoup s’il y aura une suite au Petit guide, et c’est une possibilité. Mais j’ai quelques autres idées en tête aussi. Il faut juste que je trouve le temps !

L. R. : Auriez-vous un conseil pour un jeune auteur qui travaille à faire publier un roman?

A. L’I. : Avant tout suivre son instinct, ne pas écouter ses doutes et croire que ça peut arriver. Je sais, ça fait wouwou comme réponse, mais je le crois vraiment ! Si je m’étais arrêtée pour réfléchir au moment d’envoyer mon manuscrit, je serais peut-être encore en train de me demander si je devrais le faire ou non. À un moment il faut juste lâcher prise et faire le saut. Et ensuite croiser les doigts très fort ☺.

L. R. : Merci du temps que vous nous avez accordé et bonne chance dans la poursuite de vos projets!

dimanche 20 avril 2008

La Recrue du mois de mai: Annie L'Italien, Petit guide pour orgueilleuse (légèrement) repentante.

Depuis quelques années déjà, Anne semble s'être installée dans un joyeux célibat. Toutefois, malgré une vie bien chargée, partagée entre le boulot qui prend trop de place, les séances de magasinage thérapeutique et les 5 à 7 avec ses précieuses copines, cette jeune trentenaire n'a pas complètement écarté l'idée de rencontrer un homme pour qui elle acceptera de perdre un peu de sa liberté. Mais l'homme en question se fait attendre. Ses quatre amies ont d'ailleurs diagnostiqué qu'il s'agissait là d'une conséquence directe de son excès d'orgueil, ce défaut qui l'aurait trop souvent empêchée d'oser/rigoler/pleurer/ chanter/vivre pleinement : pour son anniversaire, elles lui offrent donc une étonnante chasse au trésor qui l'amènera à sortir de sa zone de confort et, par la même occasion, à rencontrer un homme potentiellement intéressant. Un événement à la fois espéré et terriblement appréhendé par cette célibataire (pas tout à fait) endurcie. Osera-t-elle risquer le ridicule et s'ouvrir à l'inconnu ?

Réf.: Petite guide pour orgueilleuse (légèrement) repentante, Annie L'Italien.
Editions Québec Amérique, 2008, 184 pages.
ISBN: 978-2-7644-0599-4

samedi 19 avril 2008

Encore une bonne nouvelle pour une "Recrue"

Voici un extrait du billet annonçant la candidature de Les carnets de Douglas de Christine Eddie pour le Prix littéraire France-Québec 2008. Madame Eddie était notre recrue du mois de novembre 2007 et nous lui souhaitons de remporter ce prix!

Paris, le 18 mars 2008. – Le jury et les comités de lecture du Prix littéraire France-Québec, parrainé pour la troisième année consécutive par M. Patrick Poivre d’Arvor, se sont réunis samedi dernier pour désigner les finalistes du prix 2008. Leur choix s’est porté sur les ouvrages suivants : La sœur de Judith de Lise Tremblay (Boréal), Les carnets de Douglas de Christine Eddie (Alto) et Vous êtes ici de François Gravel (Québec-Amérique).Le jury – composé de trois auteurs : Pierrette Fleutiaux, Pierre Leroux et Carole Zalberg et de Sylvain Neault, directeur de la Librairie du Québec à Paris – ainsi que de cinq comités de lecture représentant les régionales de l’association France-Québec, ont désigné ces trois romans à partir d’une présélection de sept ouvrages, faite en décembre dernier: Les carnets de Douglas, Christine Eddie (Alto), Ce n'est pas une façon de dire adieu, Stéfani Meunier (Boréal), La soeur de Judith, Lise Tremblay (Boréal), C’est quand le bonheur, Martine Delvaux (Héliotrope), Jardin sablier, Michèle Plomer (Marchand de feuilles), Les jambes de Steffi Graff, Pierre Cayouette (Québec-Amérique), Vous êtes ici, François Gravel (Québec-Amérique).

Les carnets de Douglas de Christine Eddie (Alto) met en scène une passion comme au cinéma qui se déploie à l'ombre d'un arbre, d'une clarinette, d'une nature généreuse et sauvage. Des personnages singuliers, écorchés que la vie se chargera de métamorphoser.

Le « Prix littéraire France-Québec », est né en 1998 de la volonté des membres de l’association France-Québec de faire découvrir et redécouvrir la littérature québécoise. Luttant contre une méconnaissance importante de cette littérature en France, le Prix littéraire France-Québec propose chaque année au lauréat d’aller à la rencontre des lecteurs français dans le cadre d’une tournée littéraire. Il a en outre reçu l’appui de Jean D’Ormesson, de l’Académie française, pour son édition 2005.Les lecteurs de l’association France-Québec auront donc jusqu’en octobre prochain pour lire ces romans, participer au vote et désigner le Lauréat 2008.

mardi 15 avril 2008

Le sprint de Karine pour terminer à temps !

Je me permets une petite entorse sympathique pour vous diriger vers le Coin lecture de Karine. Elle s'est donnée la peine de terminer "Vandal love ou perdus en amérique" pour le 15 (c'était le sprint à la fin !), je vous invite à aller lire son commentaire ici.

Géant arbre généalogique

Voici mon commentaire de lectrice, à chaud. Très chaud même puisque je termine à l’instant (le 15 !) la dernière page de l’épilogue.

Il y a tant dans ce roman qu’il est difficile de savoir par où commencer. Il y a ses personnages assez torturés, à la recherche d’un paradis perdu. Ils sont plusieurs, géants ou petits et ont un arbre en commun, un généalogique à branches épaisses. Ces personnages sont tous placés sur une route et même quand ils avancent, ils ont l’impression de reculer. Pris de la bougeotte, ils nous envoient une impression de fuite, se fuir.

Sur la couverture, il y a d’immenses bottillons à coté de petits souliers, je pensais que c’était l’allusion au gigantisme mais c’est aussi, le parent qui prend soin de son petit. Toujours un seul et unique enfant. On prend la fuite avec son petit sous son aile, surtout des pères à la fibre maternelle, mais il y a une mère aussi.

Cela vous semble un peu confus ce que j’en dis ? Pourtant, l’histoire ne l’est pas, l’auteur reste en contrôle malgré un désir furibond de tout raconter dans un premier roman. C’est en lisant « Les Remerciements » que j’ai eu la confirmation que cet auteur est un conteur inné, tissé à même la fibre des grands brodeurs. Le grand sac de sa mémoire déborde de mille et une anecdotes qu’il brode par petits points, son fil se faufilant rapidement pour faire apparaître les branches du géant arbre généalogique.

L’état d’esprit est important pour apprécier ces histoires où les personnages s’évanouissent aussi vite qu’ils naissent sur les routes de la vie. Une attitude de précarité où l’on s’assoit sur le bord de l’histoire toujours prêt à détacher l’amarre de ses éphémères personnages.

Et le style ? Parlons-en du style ! Foisonnant, fourni, fluide, l'imaginaire déborde d’une gigantesque corne d’abondance.

Avec ce roman, vous avez pour vous désennuyer d’une seule vie, la vôtre, plusieurs histoires pour le prix d’une et toutes signées « perdus en Amérique ». Malgré, parfois, une sensation de trop-plein, certains deuils de personnages que j’ai mal vécus et un canevas d’histoire surexploité, j’ai apprécié ma lecture. À mon corps défendant, j’ai été engloutie.

Déroutes humaines

Vandal Love ou Perdus en Amérique raconte l’histoire des descendants d’une même famille originaire du Québec mais dispersée à travers l’Amérique. Ceux-ci se divisent en deux branches: celle des géants et celle des nains. Différents sur le plan de leurs aspirations, mais réunis dans leur quête qui les lance, inexorablement, sur les routes du Canada et des États-Unis.

Beaucoup de bruit a entouré la parution de ce roman, traduit de l’anglais mais écrit par un auteur québécois d’origine, D.Y. Béchard. Celui-ci, un peu à l’image des personnages qu’il met en scène, a été élevé entre l’Ouest canadien et les États-Unis. Son livre lui a d’ailleurs mérité le Commonwealth Writer’s Prize 2007 du premier roman. Danièle Laurin a même parlé d’un «roman fulgurant». De quoi créer quelques attentes… Et les attentes, ce n’est pas toujours bon, comme je l’ai déjà mentionné.

J’en avais donc quelques unes. Pas trop. J’ai appris. Mais juste assez pour être vraiment surprise. Car à la lecture des premières dizaines de pages, je me suis demandé si je lisais bien le même roman dont j’avais lu tant de bien.

En fait, j’ai trouvé la première partie du livre assez pénible. Les descriptions sont parfois détaillées de façon presque maniaque. Les retours en arrière sont nombreux et souvent difficiles à suivre. Le passage d’un personnage à un autre n’est pas toujours évident non plus, ce qui fait qu’on perd le plaisir de lire, constamment agacé par divers détails de narration et de structure.

Un autre facteur qui ne m’a pas aidée à plonger dans le récit est l’invraisemblance des personnages. Certains ont parlé de «personnages plus haut que nature». Eh bien, moi, je les ai surtout trouvé étriqués et sans âme. Du moins, jusqu’à la moitié du livre.

Car le roman balance ensuite vers l’histoire de la branche des nains qui, au lieu de vivre leur errance et leur quête à travers la violence des poings et l’alcool, se tournent plutôt vers un questionnement existentiel sur le sens de la vie.

Naturellement, mes goûts et ma personnalité m’ont fait pencher pour les nains. Mais quelque chose change également dans l’écriture à ce moment du récit. Comme si, soudainement, les défauts évoqués plus haut s’estompaient pour laisser place à une maîtrise plus évidente de la narration, des descriptions. Ainsi, on sent le souffle de l’écrivain.

Vandal Love, c’est donc pour moi deux romans dans un. Malgré un effort à la fin pour réunir, symboliquement, les deux branches familiales, la séparation reste. Ainsi, c’est moi qui me suis perdue, au fil des lignes de Vandal Love ou Perdus en Amérique, entre les routes divergentes de ces déroutes humaines.

Tisser des liens

Premier roman largement médiatisé, Vandal Love ou Perdus en Amérique se veut un récit multigénérationnel. (En passant, pourquoi la traduction française tient-elle à apporter des précisions au titre original?) Avant d’amorcer la lecture du livre, je craignais un peu les pièges inhérent à un tel genre. Réussirais-je à m’attacher à cette famille aux multiples ramifications qui finirait par se disperser sur un continent entier? Voudrais-je suffisamment m’investir dans cette histoire? Quand je me suis décidée à plonger, pourtant, j’ai été happée presque dès les premières lignes : « Les épreuves lui avaient façonné un visage inégal, anguleux comme une vieille pomme qui aurait été comprimée par les autres dans une caisse. Il n’avait jamais fermé les yeux pour songer à ce qui n’était pas visible. » Très rapidement, j’ai cru à cette famille improbable où se côtoient indifféremment géants et nains, où un Jude à la force brute se laisse toucher par la tendresse de sa jumelle Isa-Marie, où le silence est aussi prégnant que les gestes, où les paysages (magnifiquement dépeints) défilent, transcendés par la force morale des personnages. J’ai eu l’impression tenace d’être plongée dans une histoire à la John Irving, avec ses héros plus grands que nature, déchirés par le doute dès leurs premiers instants de vie mais sans les longueurs un peu démesurées parfois associés au style de l’auteur américain.

J’ai lu les deux tiers du roman en un week-end et les destins des Jude, Isa, Barthélémy, François, Harvey, continuaient de m’habiter. J’étais prête à classer le livre dans mes « coups de cœur » récents sans hésiter. Quand, quelques jours plus tard, j’ai poursuivi la lecture du roman, j’ai alors senti une cassure de ton qui, au début, m’a déstabilisée, puis vaguement énervée. Cette quête initiatique, presque chamanique, d’Harvey (devenu Sat Puja), je l’ai trouvée légèrement trop appuyée. Bien sûr, depuis le début de son roman, l’auteur tendait des fils ici et là qui indiquaient bien la profondeur à laquelle tous aspiraient, directement ou indirectement. Cette redécouverte du soi, de l’autre, de soi à travers l’autre, les lieux, est au cœur même du propos. Béchard pose un regard cinglant sur le monde des gourous qui ont peu à peu pris possession des âmes ayant perdu les repères de la religion, veut faire réfléchir mais j’ai trouvé que le trait était devenu trop accentué, comme si l’auteur sortait son surligneur pour rehausser son récit. Le rythme plutôt trépidant auquel il nous avait abstenu depuis le début devient alors languissant et j’admets avoir trouvé certaines de ces pages longuettes. Et puis, en véritable deus ex machina (inutile de lui résister ici!), il clôt la saga de façon magistrale. Enfin, les liens s’affirment, se resserrent, démontrent leur solidité. La boucle est bouclée mais reste curieusement, délicieusement, ouverte.

Ces quelques réserves de ma part demeurent relativement minimes. Dans ce premier roman, Béchard a réussi à démontrer un contrôle remarquable de la narration et du style (chapeau ici à la traductrice qui a bien su rendre les divers niveaux de langage). J’attends le suivant avec plaisir.

Mention spéciale: originalité et créativité!

Au début de ma lecture ce livre m’a laissée perplexe, mais après une cinquantaine de page j’ai adhéré à cet univers où se rejoignent réalisme historique et allégories éclatées. Tout dans ce livre verse dans l’excès, à la hauteur des personnages qu’il met en scène. La langue est juste et puissante. Les images sont percutantes. C’est une grande fable sur l’attachement et la quête identitaire. J’ai été assez troublée par ces personnages qui perdent constamment leurs repères comme s’il leur était impossible de se construire un cocon familial où ils seraient confortables. Une belle mention pour l’originalité et la créativité : il me semble que ce Vandal Love ne ressemble à rien !

Il m’a tout de même semblé que certaines longueurs rendent le récit un peu lourd, particulièrement dans le Livre premier. Il faut dire que j’ai nettement préféré le Second livre dont le regard ironique sur les quêtes spirituelles traversant tout le siècle m’a semblé particulièrement juste et pertinent. J’ajouterais que les 40 dernières pages du livre sont les meilleures et valent à elles seules le déplacement !

En tous les cas, voilà un auteur à surveiller de près!

Totalement perdue...

Un titre bien choisi pour un livre ou la destruction est au rendez-vous! Chacun essaie de semer un grain d’amour sans vraiment le mener à sa pleine croissance. Les solutions résident entre l’alcool et le culte, accompagnés d’une fuite au Sud ou au Nord. Quelqu’un a écrit : « Quand tu ne sais pas où tu vas, arrête-toi et regarde d’où tu viens. »* Mais que peut-on faire lorsqu’on ne sait précisément pas d’où on vient ?! C’est cette similitude qui rejoint tous ces personnages, chacun fuyant vers l’arrière en quête d’une réponse si minime qu’elle soit.

J’ai lu cet ouvrage en version originale anglaise, à mon grand désavantage. Les mots y sont très recherchés et pour éviter un aller-retour constant entre le dictionnaire et le livre, j’ai trop souvent accepté mon incompréhension des termes. Cette erreur ne me permet pas d’apprécier l’essence du roman ou ses subtilités. A plusieurs occasions, j’ai été confuse entre les personnages et les liens qui tissent leur toile familiale.

L’idée de départ de ce roman est originale, mais pas assez exploitée à mon goût. Je ne peux malheureusement pas dire que j’ai été séduite par ce roman ou encore attachée à ces femmes et ces hommes pour qui la vie contient bien des mystères…


* Les yeux jaunes des crocodiles, Katherine Pancol, p.91

« Etre perdu en Amérique était une sorte de tradition. »

« Bizarrement, être perdu en Amérique était une sorte de tradition, c'était bien vu. Ca remontait à loin, c'était même vénérable, et il éprouvait de la fierté juste à penser à l'histoire familiale. » (p.306)


Voici un livre dont j'ai énormément de mal à vous parler... Je crois que cela tient principalement du fait que j'ai l'impression d'avoir manqué un rendez-vous. Car bien que ce livre soit remarquable en plusieurs points, je n'ai pas été emballée plus que cela.

Pourquoi ce livre est remarquable ? De par son style et sa construction. L'écriture est sure, le style est imagé. « La neige avait recommencé à tomber, à fouetter les gratte-ciel, à envelopper la ville de son silence, à tranformer les rues humides en patinoire. » (p.165) Et la construction est maîtrisée : il y a ces deux livres, reprenant chacun l'histoire d'une des lignées de cette famille, depuis le début du 20ème siècle (à peu près) jusqu'à nos jours, avec dans les dernières pages de ce roman, un épilogue. Cette construction permet d'avoir une vision bien distincte du devenir de chaque lignée, avec cet épilogue qui permet de voir où chaque lignée aboutit dans ces dernières pages. Ce mot aboutir n'est pas tout à fait juste puisqu'il finit sur le nouveau départ du descendant de chaque lignée. En espérant qu'ils arrivent - enfin - à trouver leur place...

Mais voilà... malgré cela, il m'a manqué un petit quelque chose... Impossible de mettre le doigt dessus. Pour le moment. Mais peut-être que les autres chroniqueurs de la Recrue m'aideront à trouver une piste !

Un extrait...
« Parfois, dit-il, je pense que je lis juste pour voir ce qui peut advenir de quelqu'un. Je ne comprends probablement pas vraiment ce que je lis. J'essaie juste de voir ce que ça veut dire pour moi. Probable que je devrai relire tout ça quand j'aurai compris autre chose. » (p.110)

samedi 5 avril 2008

Dans le journal Le libraire

D. Y. Béchard: Ni tout à fait chez soi ni tout à fait ailleurs

Par Rémy Charest, Journal le libraire

Pas étonnant qu’il ait fallu une bonne dizaine d’années à D. Y. Béchard (Deni Yvan, pour les intimes) pour venir à bout de Vandal Love ou Perdus en Amérique, une saisissante épopée continentale et identitaire accueillie à sa parution en anglais par le Commonwealth Writers’ Prize du meilleur premier roman, dans la foulée d’un défilé d’éloges critiques!

D’une rare envergure, le livre de Béchard, francophone d’Amérique, raconte l’histoire des descendants d’un rude patriarche gaspésien, Hervé Hervé. Une descendance divisée physiquement en deux clans: les géants comme Jude, véritable force de la nature, né avec un physique de boxeur et une mentalité de terrien, et les avortons, comme la jumelle de Jude, Isa-Marie, née dans les bras de son frère et portée dès sa jeunesse vers les choses de l’esprit et les questions existentielles.La descendance d’Hervé Hervé se retrouve bientôt à la dérive sur le continent américain, Jude en devenant boxeur sous le nom de Jude White, puis sa fille Isa en tentant de faire le lien entre son présent américain et ses origines québécoises, et plusieurs autres encore, se fondant tour à tour parmi les communautés noire, mexicaine ou louisianaise, également aux prises avec des questions identitaires complexes, et faisant même un détour par un ashram bouddhiste.

Perdu en Amérique

Un roman qui prend ainsi la mesure d’un continent, le traverse par une multitude de personnages qui se passent la narration comme dans une véritable course à relais littéraire, et parle pourtant d’une voix aussi claire et décidée, ça ne s’écrit pas en six mois sur le coin d’une table. Pour Béchard, qui vit pour le moment à Boston, donnant des cours particuliers de littérature qui le font vivre en lui laissant le temps d’écrire, il aura fallu plusieurs coins de table, au fil d’un mode de vie qui tient presque du nomadisme. En effet, si ses origines familiales sont en Gaspésie, son enfance s’est déroulée — entre autres — entre le Maine, Boston, la Virginie et la Colombie-Britannique — et un peu à Rimouski, chez ses grands-parents.

À l’adolescence, le jeune Deni se rendit compte que son père, ce conteur et bonimenteur chaleureux, était aussi un criminel, auteur notamment de vols à main armée: «Mon père préférait faire les choses à sa façon, même si ce n’était pas la bonne façon. Quand j’avais 15 ans, j’ai vu qu’il était fou, dangereux, qu’il allait s’autodétruire. Il m’a mis dehors, finalement. C’était le moment de m’affirmer…», se remémore-t-il. Le père aurait voulu le voir suivre ses traces, mais le fils avait depuis toujours le désir d’écrire et de trouver sa propre voie. D’où une rupture salutaire, même si elle a été douloureuse: «Il y a pire. Je suis très content de mon enfance. Nos blessures nous donnent du pouvoir», explique Béchard avec conviction.

Une mythologie de l’identité

Ancré au Québec tout en se sentant plus franco-américain, Béchard a tiré de ce parcours atypique un point de vue fort particulier sur ses origines familiales, alimenté par un père parti en mauvais termes avec son coin de pays, qu’il décrivait de façon terrible: «Quand j’étais jeune, j’entendais des histoires du Québec, décrit comme un pays pauvre, violent, raconte l’auteur. J’avais l’image d’un peuple très sévère, très dur, de mes grands-parents comme des gens forts, illettrés, travaillant aux champs. C’est une mythologie, tout ça.» L’image des géants et des avortons, explique-t-il, tient d’un même phénomène d’amplification, un peu comme si les villageois se remémoraient la famille Hervé par la lentille déformante du temps et de l’éloignement. Avec des sentiments équivoques envers ceux qui sont partis.Parler de réalisme magique serait peut-être excessif, mais Béchard imprime bel et bien un souffle et une ampleur exceptionnels à son écriture et à ses récits. Avec, en prime, la capacité de bien terminer la course effrénée des personnages par une forme d’apaisement, un moment, tout au moins, où l’on peut fermer les yeux et trouver le repos. Un parcours déroutant, fou et affectueux, rude et touchant.

En traitant de cet éloignement qui est le sien autant que celui de ses personnages, Béchard s’est retrouvé très clairement dans une vaste quête identitaire: «Il y a des lieux français partout en Amérique. Je voulais chercher à réunir toutes ces histoires perdues, à voir comment tout ça se tisse ensemble, de façon très fragile.» Les personnages de Vandal Love sont donc aux prises avec une recherche de soi et d’ailleurs qui se vit à toutes sortes d’échelles, du très personnel à la rencontre des cultures de notre continent: «Ils ont tous le rêve d’un endroit meilleur. Le Québec, les États-Unis, l’illumination, le fait d’être un vrai homme. Mais le rêve tue la réalité. Ils ne sont jamais contents.»

Perdus et retrouvés

En deux récits successifs et forcément apparentés, Vandal Love représente une traversée de l’Amérique vue par des prismes multiples: celui de la famille Hervé, ceux du territoire — de la Gaspésie à la Nouvelle-Orléans, du New Jersey au Nouveau-Mexique —, et ceux de la culture — française, anglaise, canadienne, américaine, mais aussi noire et hispanique. L’effet cumulatif est naturellement plutôt kaléidoscopique, comme une conversation à plusieurs voix, constamment interrompue et relancée. Les voix d’une Amérique française dispersée, voire diluée dans tous les recoins du continent, une descendance française qui a du mal à trouver la place qui lui convient, qui lui revient.

Et après?

S’il laisse de côté la saga familiale, le prochain roman de D. Y. Béchard sera toujours consacré à des hommes et des femmes partis à la recherche d’un avenir meilleur — et revenus déçus et meurtris par l’échec de leur rêve: les membres de la brigade Mackenzie-Papineau, volontaires partis à la rescousse de l’Espagne républicaine, en 1936, lors de la guerre civile que devait bientôt remporter Franco: «C’étaient des gens de partout qui étaient partis ensemble. Des hommes et des femmes, des francophones et des anglophones, qui ont été trahis par les Républicains, par les communistes.» Bref, le territoire du romancier demeure au Québec et au Canada, avec un grand voyage qui se fond avec la recherche d’un idéal. «Ils étaient prêts à mourir pour la cause, précise D. Y. Béchard. Ils croyaient vraiment qu’ils pouvaient changer l’avenir. Aujourd’hui, on est plus figés. Nos remises en question sont plus légères.» Un peu comme s’ils étaient des géants. Et nous, les avortons.

mardi 1 avril 2008

Dans le Voir...

La dérive du continent
Par Tristan Malavoy-Racine

Vandal Love ou Perdus en Amérique nous arrive précédé d'une forte rumeur, née en bonne partie de l'attribution à son auteur, D. Y. Béchard, du convoité Commonwealth Writers' Prize 2007 du premier roman. Le jeune écrivain nous parle de la genèse de ce coup d'envoi spectaculaire.
"Il lui aura fallu près de huit ans d'écriture et de pérégrinations pour donner vie à cet étonnant premier roman", peut-on lire sur la quatrième de couverture de Vandal Love ou Perdus en Amérique. En discutant avec le principal intéressé, on se dit qu'il aura même fallu 33 ans, les 33 ans qu'a au compteur D. Y. Béchard, né d'un père gaspésien et d'une mère états-unienne, pour accoucher d'un texte aussi mûr, qui n'aurait pas été possible sans un parcours de vie aussi riche que le sien, et qui pourtant appartient d'abord à la fiction, à la Littérature avec un grand L.

Celui qui a vécu, "entre autres", précise-t-il, en Colombie-Britannique, au Vermont, au Nouveau-Mexique, en Louisiane, mais aussi à Montréal, Québec, Rimouski, Toronto, New York et Londres, est conscient de la place qu'occupe dans son imaginaire le déplacement, le déracinement. "Durant une longue période, je déménageais tous les six mois", se souvient-il. "Mon père touchait à tout, passait d'un boulot à l'autre. C'est quelqu'un qui a eu des problèmes, qui a fait de la prison, et ça s'est traduit par de nombreux déménagements. J'ai donc eu une jeunesse durant laquelle il était normal de se déplacer tout le temps, de s'habituer à de nouveaux lieux."

BELLE PROVINCE ?
Interrogé sur les sources initiales de Vandal Love, D. Y. Béchard n'hésite pas à remonter jusqu'à cette prime jeunesse. "Je me souviens de lointaines discussions avec mon père. Il me parlait du Québec, me disait à quel point c'était dur, là-bas, pauvre, et qu'il ne voulait pas y retourner."

Voilà à coup sûr l'un des éléments déclencheurs ayant mené à ce très accompli roman. Béchard, qui enseigne actuellement dans une université de Boston et aurait pu enraciner son histoire n'importe où en Amérique ou dans le monde, a placé le Québec au coeur de Vandal Love, plus précisément la Gaspésie, terre originelle, berceau fêlé d'une famille dysfonctionnelle, disloquée, celle du patriarche Hervé Hervé, qui engendre tantôt des géants, tantôt des nains, et qui demeurera le point d'ancrage pour les descendants de celui-ci, même ceux qui roulent leur bosse aux confins des États-Unis ou de l'Ouest canadien.

Mais attention, le Québec tel que perçu par ces personnages est un Québec essentiellement fabulé, fait de récits oraux, de souvenirs de jeunesse, et passé à la moulinette d'un jeune écrivain audacieux, qui a su insuffler une puissante symbolique à un récit déjà substantiel au premier degré. "Avant même de connaître le Québec, je m'en étais fait toute une petite mythologie, à moitié inventée, avec son climat, ses campagnes, ses habitants qui partaient vers le Sud pour se trouver un futur..."

C'est bien l'une des choses qui séduisent, dans ce livre: on sent l'odeur de la terre, la course des saisons; on voit la nature frémir sous la plume d'un romancier très attentif au réel, mais Béchard a par ailleurs l'intuition et le talent de brosser des êtres plus grands que nature, dans une matière qui serait à la frontière de la réalité et d'autre chose. "J'ai voulu, oui, qu'il y ait une part de magie dans ce récit, que ça touche parfois au conte de fées."

IL ETAIT UNE FOIS EN AMERIQUE
Qu'ils appartiennent à la branche des colosses ou des nabots, les héritiers d'Hervé Hervé ont des faiblesses communes, finissent par chercher derrière la ligne d'horizon de quoi combler le vide de leur existence. "L'histoire s'inspire beaucoup de récits que des gens m'ont faits, dans le Maine ou ailleurs, racontant l'implantation de leur famille dans le Nord-Est américain ou en Louisiane, par exemple, et ensuite l'envie de pèlerinage qui s'emparait souvent des descendants, qui souhaitaient retrouver la terre de leurs ancêtres."

Pour les personnages centraux de Vandal Love, qui portent tour à tour le récit - le relais d'un personnage principal à l'autre s'opérant avec une fluidité déconcertante, faut-il souligner, dans la grande tradition de la fresque romanesque américaine -, ces descendants, donc, vont vivre l'appel du berceau familial de façon désordonnée, à travers les brumes de leur conscience meurtrie, leurs vies n'étant que successions de désillusions et d'amours manquées, comme en écho à la brutalité qui régnait dans la maison d'Hervé Hervé. Pour Jude, petit-fils de ce dernier appartenant à la lignée familiale des géants, ou plus tard pour la fille de Jude, Isa, la fascination trouble pour les origines donnera lieu à une quête bouleversante, belle et triste à pleurer.

Mise en garde: le lecteur non plus ne sort pas tout à fait indemne de ce fascinant dédale existentiel et géographique.

Vandal Love ou Perdus en Amériquede D. Y. BéchardÉd. Québec Amérique, 2008, 344 p.
ooo

VANDAL LOVE OU PERDUS EN AMERIQUE
En novembre dernier, Normand de Bellefeuille nous avait prévenu. L'écrivain et directeur littéraire aux Éditions Québec Amérique nous confiait en effet considérer ce "coup", pour reprendre le terme employé en référence à l'achat par la maison des droits de Vandal Love, comme "sa plus grande fierté de directeur littéraire depuis dix ans".

Nous avions donc la puce à l'oreille, et peu après la réception du roman, traduit avec une grande justesse de ton par Sylvie Nicolas, il fallait en convenir: nous étions devant un titre d'exception. D. Y. Béchard, grand lecteur et héritier de Faulkner et Joyce, signe un immense tableau multigénérationnel, qui a pour coeur une petite communauté gaspésienne, mais dont les trajectoires des personnages nous mènent partout à travers l'Amérique du Nord; une histoire qui traite tour à tour de jeunesses volées, d'amours forcées et de fuite, de violence père-fils et d'incompréhension père-fille, de délire religieux et de mille choses encore, le tout dans une écriture stratifiée, complexe mais élégante.

Vandal Love ou Perdus en Amérique est un récit exigeant, mais qui récompense l'exigence à grands souffles de poésie et de sombre beauté, et dont la mécanique impeccable fait en sorte que, malgré quelques longueurs et la tendance d'un jeune auteur surdoué à pécher par excès, en outre dans les images incorporées à ses descriptions, nous vivons là, véritablement, une très grande expérience de lecture.

À lire si vous aimez /Le Monde selon Garp de John Irving