samedi 28 juin 2008
Dans le Elle Québec...
Elle n'a pas 30 ans, elle signe ici son premier livre, et c'est un régal. C'est léger, plein d'humour et de petites méchancetés. Douze histoires en tout, avec un chat dedans. Sauf une. Douze histoires sans lien apparent entre elles. Sauf deux. Où on retrouve deux frères: l'un dépressif, psychotique, et l'autre normal. En apparence. Douze histoires punchées. Sauf peut-être une ou deux, qui tombent un peu à plat. Douze histoires qui parlent de tout, de rien, de la vie, quoi. De la vie avec – ou sans – chat. De la vie plate des esseulés. De la vie moche des frustrés. Mais pas seulement ça. De la vie rêvée, aussi. Du désir, de la sexualité. Douze histoires où l'auteure fait entendre une vraie voix. Et met le doigt là où ça fait mal, sans avoir l'air d'y toucher. Miam!
dimanche 22 juin 2008
La recrue du mois dans Le Devoir du week-end
Suzanne Giguère, Petites histoires plein d'humour, tendres et cruelles, Le Devoir du samedi 21 et dimanche 22 juin 2008
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vendredi 20 juin 2008
La Recrue de juillet:Petites histoires avec un chat dedans sauf une, Véronique Papineau.
L’art de la légèreté. Le coup de griffe qu’on n’a pas vu venir, la caresse qui déchire, le don de toujours retomber sur ses pattes. Un écrivain qui écrit des nouvelles se doit de partager de nombreuses qualités avec le chat.
Dans ce premier livre, Véronique Papineau révèle une maîtrise hors pair.
Qu’elle raconte l’histoire d’amants qui rompent par la poste, la solitude de la vie de bureau, la fugue de deux adolescents dans la grande ville, chacune de ces scènes de la vie contemporaine prend un relief inattendu. Rien ici de banal : tout comportement est soumis au regard de cette fine observatrice et raconté avec un ton unique qui fait les vrais écrivains.
Réf.: Petites histoires avec un chat dedans sauf une, Éditions Boréal, 2008, 184 pages.
ISBN-13 978-2-7646-0596-7
dimanche 15 juin 2008
Talent en provenance d'Alger
De la peau, des craies de couleurs et des dizaines de crêpes. Des personnages. Deux jumeaux rêveurs, un artiste et un autiste. Une grand-mère kabyle au cœur brisé et à la colère éternelle. Une cousine aux doigts brûlés, à bout de tristesse. Deux Celia. Une dentiste narcoleptique. Une petite fille qui pleure, une autre qui veut savoir pourquoi on enlève ses souliers à l’entrée des mosquées. Marguerite Yourcenar, la morte, Doña, la fille aux boucles d’oreilles. Une phrase : « Le ciel est encombré de bleu.» Et puis finalement des lieux pour accueillir cette bande et ses errances. Montréal, Paris, Casa Blanca. Quelques quais de la Seine, aussi.
En fait, ce que nous offre La peau des doigts, outre ses personnages chimériques, c’est un monde en soi. Vous me direz « Mais, Maxime, chaque roman nous fait découvrir un univers.» Certes, je ne puis qu’acquiescer à cette affirmation. Mais l’univers de ce roman-ci est tout à fait hétéroclite : c’est notre monde, mais une autre réalité. Une réalité libre de toutes conventions sociales et de tout manifeste sur la normalité. C’est un monde sécant au nôtre, un endroit où l’absurde est banal et où le banal est absurde. Le lire, c’est accepter une autre conception du sens de vivre, d’autres lois de la physique. C’est l’univers de La peau des doigts, tout en simplicité et en subtilité, une création de l’auteure qui lui a permis de faire évoluer ses personnages dans un environnement sans limites. Une dimension-parallèle dans une œuvre qui n’a pourtant rien à voir avec la fiction.
Gratter le rêve sous la vie
Solitudes désenchantées qui se frôlent, s'enflamment à l'occasion mais jamais ne se fondent l'une dans l'autre, les personnages du roman sont esquissés à traits flous, ponctués ça et là d'éléments particulièrement vibrants. Si on cherche une cohésion narrative, une linéarité dans le récit, on devra abdiquer. Si on accepte de laisser l'histoire nous imprégner comme un songe éveillé, on entendra au détour le chant du muezzin, le clapotis de l'eau dans la fontaine, les crêpes qui sautent dans la poêle, le métro qui entre en gare, les insectes croqués sur le vif, les pensées des protagonistes, la vie qui bat, avec toutes ses désillusions. « À Montréal, des fois, il fait si bleu qu'il y en a partout, dans tous les coins. Du bleu. De la lumière. Il y a cette impression d'être Boris Vian. Que le ciel est un arrache-cœur. » (p. 44)
Malgré sa jeunesse, Katia Belkhodja possède déjà une voix unique, qui lui permet de marier des éléments poétiques à la banalité du quotidien. « Je nous ai repéré un arbre comme on se prend une table dans un restaurant quatre étoiles » (p. 20) ou « L'imparfait de l'indicatif est le temps le plus douloureux qui soit » (p. 22) ou encore « On est montés dedans, la fontaine Saint-Michel, l'eau saturée de vœux cuivrés, avortés, l'eau rouillée d'amertume. » (p. 36) J'attendrai avec plaisir son prochain roman pour apprécier si les images prendront la profondeur de l'expérience.
Brûler d'intensité
Phrase difficile à cerner. Sens propre ou figuré? Figuré, sans doute. Le lecteur s’en convainc au fil de sa lecture qui le mène au long d’un récit où s’enchevêtrent les destins de personnages atypiques. La narratrice, d’abord. Ensuite, la grand-mère kabyle, les jumeaux artistes dont l’un s’est amouraché de Marguerite Yourcenar, la cousine qui porte le même prénom que la grand-mère, l'amie dentiste atteinte de narcolepsie. Il y a aussi Doña que la narratrice interpelle mais qui reste énigmatique.
Le récit lui-même est celui d’une quête. Celle de la grand-mère sur les traces d’un amour perdu. Celle de la cousine, meurtrie par le deuil de sa mère. Celle de Gan, le jumeau autiste, à la recherche de son auteur fétiche. La narratrice, elle, s’inclut dans ce qui va la mener de Montréal à Paris, en survolant, par l’entremise des souvenirs des autres, l’Algérie, la côte de la Méditerranée et le nord de l’Afrique. Le lecteur, une fois habitué à cette narration plus onirique que concrète, se laisse prendre par la main aux côtés de ces improbables compagnons de voyage.
On se perd un peu dans ce tout petit roman. Peinant parfois à replacer les personnages, les lieux, les événements qui finissent par devenir flous, difficiles à cerner. Mais l’écriture vaut qu’on s’y arrête. Surtout quand on sait que l’auteur, Katia Belkhodja, a écrit son roman à 21 ans.
Ce détail à l’esprit, la lecture s’enrichit. Car le talent éclate sur ces pages, c’est indéniable. Il ne s’agit pas d’un roman parfait, mais les yeux sont happés par des envolées évocatrices et inspirées, qui brûlent d'intensité:
« Je me suis réveillée quand elle est arrivée, elle a éclaté de rire. Comme ça, sans raison. Un rire qui ne s’arrête pas. Un rire jusqu’à pleurer. De ces rires en fer barbelé qui te font mal dans et autour de toi. À avoir peur d’y être, d’en approcher, ce rire. Il y a des gens comme ça qui savent rire la douleur. Des gens qui ont crevé de solitude. Elle rit comme elle chantait un jour. Il y a des gens qui chantent et puis des gens qui rient, puis des gens qui écrivent et des gens qui ne font rien et ils crèvent. Tous. De solitude. » (p. 33)
Oui. Il y a des gens qui écrivent comme Katia Belkhodja.
Tomber en amour
Mais est-ce vraiment important cette histoire ? Ceux qui aiment les récits narratifs dans la plus stricte expression du terme seront nécessairement déçus. Ceux qui aiment la poésie ne le seront pas. J’ai adoré ce livre dont l’atmosphère onirique m’a complètement happée pendant des pages et des minutes et encore des pages et des minutes. Chaque phrase existe en elle-même avant de devenir avec ses sœurs moins un récit qu’une mélopée. Ou une prière peut-être ? Ce livre serait un mantra que cela ne m’étonnerait pas.
Alors de quoi ça parle. D’art : «L’art, c’est mordre dans l’éphémère.» Ça parle de littérature : «Il paraît qu’on écrit toujours au présent, même ce qu’on a déjà écrit.» Ça parle de sentiments : «Il y a des jours, des fois, on est dans le désespoir d’être. Et puis des jours, des fois, le bonheur sauvage d’être.» Ça parle des relations intergénérationnelles : «Il n'y a jamais rien qu'on puisse faire face à la douleur des vieux parce qu'on ne peut même pas les appeler bébé. Ou leur dire le temps qui passe. Ils le savent déjà, eux, que ça ne passe pas.» Ça parle d’exil : «Immigrant ça veut dire touriste. Pour un peu plus que la vie entière.» Ça parle d’amour aussi bien sûr : «Il y a quelque chose d’une catastrophe naturelle dans les yeux de l’amour blessé.» Et ça parle de peau…
Bien entendu, il y a aura des pas à faire. Peut-être le prochain sera plus accessible, moins touffu quitte à se perdre. Mais comme j’ai aimé ce livre ! De cet amour un peu triste parce qu’on sait qu’il ne sera pas toujours facile à partager.
Mauvaise étiquette peut-être ?
Mais je reviens aux personnages que je ne suis pas pour fuir, même s’ils se fuient. Il y a des jumeaux dont un autiste, et l’autre est peintre (est-il autiste aussi, je ne suis pas certaine). Il y a deux Celia, une cousine de la narratrice et la Celia, grand-mère. Et ces Celia se promènent d’un endroit à l’autre, avec des fascinations pour le métro, les crêpes, l’argent que l’on jette dans une fontaine pour la chance mais surtout une phrase de Marguerite Yourcenar « Le ciel est encombré de bleu ». Ah oui, il y a Dona (petit signe sur le n) avec qui tout commence et tout finit. Il ne faut pas oublier non plus la dentiste narcoleptique dont le rôle se résume à être une narcoleptique qui au réveil ne semble pas plus réveillée. Une part importante de l’histoire, ou du malaise ambiant qui s’étire de tous côtés, tourne autour du deuil de la mère de Celia, dont la grand-mère, Celia, est la mère. Encore là, une démonstration que la dernière chose qu’il faille attendre de ce texte est la clarté.
Est-ce que les rêves, s’entend ceux que l’on fait les yeux fermés, sont clairs ? Répondre à cette question est répondre que cette histoire doit se prendre comme un rêve, non comme un roman avec une histoire. En tout cas, moi, cela a été ma survie de lectrice qui doit lire jusqu’au bout, sans s’endormir. D’ailleurs, la narcolepsie et l’autisme, sont des genres de fermeture à la réalité.
Les mots contenant une vie en soi se portent par eux-mêmes, nous transportent comme de la poésie à l’état brut. Le mieux est de s’y laisser couler et certaines fois on exulte et d’autres, on s’assoupit. Qui se bat contre l’assoupissement quand il doit lire ? Moi ! Alors, cette lecture a été assez souvent un combat. Combat mené aussi contre mon rationnel et mon désir de clarté. Les deux ont dû se taire pour faire place aux mots. Cela m'a donné l'impression d'être cachée dans la tête de quelqu’un qui rêve et ce n’est pas une expérience que j’ai trouvé facile.
Pourtant, je m’arrêtais parfois devant la vitrine des mots exposés, dans leur état d’objets joliment regroupés, remplie d’admiration, bouche bée. J’en ai déduis que cette Katia Belkhodja a le talent de la poésie plus que du roman, delà mon titre ; mauvaise étiquette peut-être ?
vendredi 13 juin 2008
Parfum de poussière de Rawi Hage récompensé
Chantal Guy de La Presse en parle ici aujourd'hui.
dimanche 8 juin 2008
Quartier Libre rencontre Katia Belkhodja
Quartier Libre
Journal indépendant des étudiants de l'Université de Montréal
La peau des doigts commence par ces mots : « J’ai ta chair arrachée entre les dents ». Pourtant, au premier abord, Katia Belkhodja ne ressemble pas à son livre. Chaleureuse, elle cache sa timidité derrière de grands éclats de rire. Cette Montréalaise d’origine algérienne, étudiante au baccalauréat en littérature française à l’Université de Montréal, publie son premier roman chez XYZ.
Dans l’entrée du Caféo, sur la rue Rachel au coin de Saint-Denis, Katia Belkhodja s’amuse avec un petit garçon de cinq ans à peine, fasciné de la voir si souriante. À table, derrière un chocolat chaud, elle dit bonjour aux gens qui passent, même si elle ne les connaît pas. Les voisins qui travaillent à leur ordinateur lui jettent des regards intrigués. Il faut dire que, pendant près de deux heures, elle parle en riant sans arrêt, tant qu’elle en a les larmes aux yeux. Toujours entre deux émotions, souvent dans le second degré, Katia Belkhodja est une personnalité aussi difficile à cerner que les nombreux personnages de son roman, La peau des doigts. En la voyant, on repense au début du livre, au moment où la narratrice s’adresse à une très sensuelle Doña, à la bouche pulpeuse et à la voix de gamine.
En parallèleQuand une question l’interpelle, elle se fige, songeuse : « je ne sais pas d’où elle vient cette histoire. J’avais cette phrase en tête, “j’ai ta lèvre arrachée entre les dents”, et je suis partie de ça. » Au fur et à mesure qu’elle se raconte, on reconnaît quelques éléments autobiographiques, la grand-mère kabyle, le garçon rencontré dans le métro et Doña, la fille au prénom « tellement beau ». On reconnaît surtout cette façon très particulière de s’exprimer, des phrases courtes, abruptement interrompues, reprises en escalier. Elle approuve l’idée que le lecteur, perdu dans le roman, finisse par se sentir en osmose avec les personnages. « Eux aussi, ils sont totalement perdus », dit-elle. De pays en pays, chacun se cherche et voit se diluer le lien de ses origines. Katia Belkhodja, elle, se dit Québécoise ou Algérienne, selon ce qui l’arrange. Elle regrette de ne pas parler la langue de son pays d’origine : « Je pourrais me débrouiller en arabe pour sauver ma vie, mais pas plus », dit-elle en riant. La peau des doigts est une quête de filiation, d’identité, qui passe aussi par la littérature : le jeune Gan se prend de passion pour la grande écrivaine française Marguerite Yourcenar, au point de se poster devant l’Académie française en espérant la voir. Katia avoue sans complexe que, lorsqu’elle a commencé à raconter cette histoire, elle ne savait pas que Marguerite Yourcenar était morte en 1987 ! Plutôt que de modifier ce qu’elle avait déjà écrit, elle décide que son personnage apprendra, lui aussi, au milieu du livre, que son idole est décédée il y a 20 ans...
Au fil de la plumeLe roman de Katia Belkhodja est envoûtant, empreint d’une nostalgie diffuse, soit celle du pays natal perdu au fil des migrations successives de personnages déracinés. Une errance, de l’Algérie à Montréal, en passant par Paris, dans laquelle le lecteur est lui aussi sur le point de se perdre. Elle raconte volontiers que la première version de son texte était bien plus difficile à suivre. Son éditeur, André Vanasse, lui a demandé de faire un gros travail pour « rassembler » les multiples histoires qui se croisent. Elle imite, en joignant les mains et avec une voix grave, son éditeur lui demandant de démêler le récit pour le rendre compréhensible : « On ne se souvient plus de ce personnage ! Malheureusement, le lecteur n’est pas dans la tête de Katia Belkhodja ! » Après presque un an de travail, le roman est sorti en librairie le 6 mars dernier. Quand on lui a demandé si elle avait des idées pour la couverture, Katia a haussé les épaules. Pour elle, il est temps de se détacher de ce projet entamé en 2006. Après 10 mois d’une rédaction intermittente, elle hésite longuement avant d’aller le porter chez un éditeur. Poussée par ses proches, elle se décide finalement… Mais, au lieu de tenter sa chance dans plusieurs maisons d’édition, elle se contente de le déposer chez XYZ ! « Pourquoi ? Parce que j’aime bien marcher à pied, raconte-t-elle, hilare, quand elle réalise l’incongruité de sa réponse, avant de préciser : XYZ c’est la maison d’édition la plus proche de Berri- UQAM. » On ne voit toujours pas trop le rapport, mais on n’en saura pas plus. Elle raconte en revanche qu’elle a marché jusqu’à Boréal, mais qu’elle est arrivée après la fermeture. Chez Leméac, elle est ressortie en courant. « Finalement, résume-t-elle en riant, ça a été beaucoup de sport, la publication ! ». Quand, cinq mois plus tard, XYZ l’a rappellée pour la publier, elle était en Suisse dans le cadre d’un échange universitaire. Le livre a dû attendre, comme l’aboutissement d’une errance, que son auteure nomade rentre au pays.