
Souhaitons-lui bonne chance!
Si je mourais d’un accident, tantôt, en sortant du gymnase, ce serait dommage. Franchement. Je me fâche juste à y penser. N’importe qui dans sa voiture, passant dans la rue à quelques mètres de moi, aura cette possibilité. Tous des petits Dawson en puissance. Il y a peut-être juste deux classes de personne : celles qui se reproduisent, et celles qui se tuent.
Cet attrayant roman se lit comme une histoire d’amours multiples et démultipliées : amour improbable entre Douglas (Romain) et Elena, inconditionnel, presque fiévreux envers Rose, le bébé à naître, penchant ignoré de Léandre envers Elena, tendresse infinie de Léandre et Gabrielle envers la petite Rose, relation fusionnelle de Rose avec son arbre, de Douglas avec la nature, lien intime avec la musique.
Avec douceur et conviction à la fois, l’écriture d’une grande limpidité de Christine Eddie fait basculer le lecteur dans un univers presque onirique. La plume poétique de l’auteur cisèle les paysages, les fait surgir devant nous. Sa voix unique nous raconte, presque en pointillés, le destin extraordinaire de personnages atypiques mais auxquels on s’attache en un instant. Discrètement, ils se découvrent peu à peu, dévoilent leur richesse intérieure, nous touchent par la profondeur de la faille qui les traverse, nous confrontent à la petitesse du monde qui les entoure, à l’intolérance, à la suprématie du progrès technologique.
Christine Eddie jette un regard tendre sur cet univers en suspension et choisit de le traiter de façon presque voilée, comme pourraient le faire certains cinéastes, avec un filtre. Les courts chapitres sont d’ailleurs astucieusement regroupés à l’intérieur de sections à connotations cinématographiques : repérage, gros plan (et fondu au blanc), plan d’ensemble, fondus enchaînés, accéléré, musique, fin, générique. En gravant sur la pellicule les différents éléments qui composent sa fresque, elle laisse au lecteur la possibilité d’y inscrire son propre scénario, d’y jeter un éclairage subjectif, de colorer à sa façon les zones volontairement laissées en plan. Une voix unique, musicale, qui sait à merveille dépeindre la vie qui palpite sous la surface.Elena et Douglas sont deux êtres solitaires malmenés par la vie que le hasard a fait se rencontrer dans le petit village de Rivière-aux-oies. Ils tombent amoureux et se font un nid d'amour dans les bois. Malheureusement, leur bonheur sera de courte durée puisqu'Elena mourra en mettant au monde leur fille Rose. Incapable de faire face à sa douleur, Douglas laissera Rose aux bons soins du médecin et à l'institutrice du village et partira courir le monde. Il restera en contact avec elle en lui envoyant ses carnets de voyage.
Ce premier roman de Christine Eddie est poétique et enchanteur. Elle nous raconte cette histoire à grands traits comme une fresque permettant du même coup de laisser courir notre imagination dans des paysages qui ont l'air sorti tout droit d'une autre époque. Une très belle lecture pour moi.
Réf. : Les carnets de Douglas, Chistine Eddie, Alto, 2007, 204 pages, ISBN : 978-2-923550-08-4.
Le titre ne m'attirait pas plus qu'il ne le faut. Une première leçon, ne pas se fier au titre, pas toujours, car j'aurais passé à côté d'un livre que j'ai beaucoup, beaucoup aimé. Un roman goulûment dévoré de la première à la dernière page.
Pourquoi, oui pourquoi, je l'ai tant aimé ? Je commence à croire qu'il est aussi difficile d'expliquer son amour que le contraire. Pour justifier cet amour qui se satisferait pourtant de l'inconditionnel, disons que le style clair, ordonné par des phrase simples, des chapitres d'un seul souffle, avec peu de personnages dévoilés un à la fois, ce style succinct, épuré est venu me chercher là où j'étais.
L'histoire s'annonce par de la dureté ; deux enfants meurtris qui auraient pu se laisser mourir étouffés par le manque d'amour et qui choisissent courageusement d'attraper leur baluchon pour aller voguer, peut-être vers plus de misère physique mais moins de misère morale. Avoir peu mais avoir le principal, la liberté. Ces êtres affranchis de leur famille, Romain et Éléna ont rendez-vous avec l'apprivoisement de leur être intime à partager avec un autre corps, un autre coeur. Leur maison, quelques branches coupés, leur univers, la forêt. Mais l'auteure n'a pas prévu de laisser couler une romance à l'eau de rose. Un bébé vient au monde, Rose, une histoire meurt, une autre naît.
Les thèmes sont nombreux et abordés d'une manière assez originale ; Une famille (atypique) reconstituée, l'amour paternel et maternel, la médecine dans un petit village, la marginalité, le rejet, le déracinement, le père lointain, l'amour du bois, la mort qui survie, la musique.
La forme maintenant. Des titres découpant l'histoire comme un film, oui, pourquoi pas. Le générique, je dois l'avouer, même s'il a assouvi ma curiosité du « après » m'a quelque peu bousculé. La toute fin est si forte, un peu comme dans une nouvelle, l'arrivée du générique et le défilé des personnages a achevé mon émerveillement un peu trop brusquement.
Je viens de feuilleter les pages, un parfum s'en dégage, me fait découvrir un goût ; le revivre.
Née en France, Christine Eddie a grandi en Acadie avant de se poser au Québec. Elle a signé de nombreux articles, publié quelques nouvelles, reçu deux prix littéraires (Prix Arcade au féminin et Concours de nouvelles XYZ) et écrit un livre pour la jeunesse, La croisade de Cristale Carton (Hurtubise HMH, 2002). Les carnets de Douglas est son premier roman. Elle a eu la gentillesse de répondre à mon questionnaire.
Croyez-vous que les écrivains ont une responsabilité sociale ?
CE : Les écrivains sont d’abord des citoyens et, à ce titre, ils ont, comme tout le monde, une responsabilité sociale.
La solidarité entre écrivains existe-t-elle ?
CE : Votre question évoque spontanément, pour moi, le PEN club international qui réunit des écrivains du monde entier autour
de la défense de la liberté d’expression et qui travaille à faire libérer les écrivains emprisonnés et persécutés pour leurs écrits. Je réponds oui.
Selon vous, le monde du livre se porte-t-il bien au Québec ?
CE : Malgré un « marché » minuscule, il se publie, au Québec, une formidable variété de beaux et de bons livres. Tout ne va peut-être pas pour le mieux
mais il suffit d’entrer dans une librairie ou une bibliothèque pour constater le miracle.
Est-ce qu'en 2007, nous pouvons dire, qu'enfin oui, nous avons une littérature québécoise ?
CE : Il me semble que le mot « enfin » est de trop dans votre question ; nous avons une littérature québécoise
depuis si longtemps…
Que répondez-vous à un jeune qui vous dit qu'il aimerait bien devenir écrivain ?
CE : Je lui suggérerais de lire, de lire et de lire encore. Et de ne pas hésiter à fréquenter les dictionnaires.
Vous écrivez au stylo, au crayon ou à l'ordinateur ?
CE : La plupart du temps à l’ordinateur, souvent au crayon (avec une gomme à effacer tout près) et rarement au stylo.
Internet a-t-il changé votre façon de travailler et de correspondre ?
CE : Internet me donne accès à une mine d’informations que je mettrais autrement des jours à trouver. Pour ce qui est de la correspondance,
j’ai sérieusement réduit mes frais d’interurbains…
Internet est-il une menace ou un nouveau média de promotion pour les écrivains ?
CE : Un nouveau média de promotion, pourquoi pas ?
Que pensez-vous de l'édition électronique ?
CE : Pas grand chose, encore.
Avez-vous un site Web ?
CE : Moi, non. Mais mon éditeur, Alto, oui : http://www.editionsalto.com.
Vos sites Web préférés sont ?
CE : Je lis régulièrement les journaux dans Internet.
Quel est votre leitmotiv ?
CE : J’en change tous les jours. Ce qui n’est pas bon pour un leitmotiv.
Y a t-il une cause qui vous tient particulièrement à coeur ?
CE : Oui. La protection de l’environnement. L’égalité entre les hommes et les femmes. L’accès à la culture et à l’éducation.
Pour quel écrivain avez-vous de l'admiration ?
CE : De l’admiration, je ne sais pas. Mais je suis très attachée à Romain Gary, Anne Hébert, Nancy Huston, Suzanne Jacob, Joyce Carol Oates,
David Lodge, Serge Bouchard, Marguerite Duras, Lorrie Moore, Kaye Gibbons, Milan Kundera, Geneviève Amyot, Jacques Prévert, Elizabeth Taylor (l’écrivaine britannique, ne pas confondre) et Gaston Miron. Entre autres.
Pour terminer avez-vous une lecture à nous suggérer ?
CE : Il y en aurait beaucoup mais, s’il faut choisir, je propose le « Journal » de Marie Uguay, une œuvre posthume bouleversante qui ressuscite
la voix d’une poétesse exceptionnelle.
Merci madame Eddie !