dimanche 24 février 2008

Dans Le Libraire...

Par Adeline Corrèze
2007/12/10

Si les journaux télévisés nous abreuvent copieusement d’images spectaculaires de régions en guerre, ils sont impuissants à rendre le quotidien des habitants d’un pays sur lequel il pleut des bombes, les conséquences sur la psyché humaine de centaines de journées passées à survivre à travers des décombres. Parfum de poussière, le premier roman de l’écrivain québécois d’origine libanaise Rawi Hage, vous transporte dans la réalité d’une guerre civile et vous fait sentir ce que pèse un fusil, lorsqu’il est devenu un objet du quotidien.


Parfum de poussière porte l’histoire de deux amis en plein cœur de la guerre du Liban à la fin des années 70. L’un, Bassam, rêve de fuir à Rome, «Mais ceux qui partent ne reviennent jamais», se souvient-il. Pour l’autre, Georges, il est inconcevable de quitter le pays. Ensemble, armés, ils dévalent les rues de leur quartier dévasté à moto, démontent des mâchoires et fomentent des sales coups. À Beyrouth-Est, la violence est omniprésente, inouïe et compose leur quotidien. C’est le propre des guerres civiles: «Elles n’ont rien de virtuel comme celles des Américains, assène Rawi Hage. Au Liban, comme en Yougoslavie, la guerre était vécue par la population, et non par le biais d’un écran. Les armes, les champs de bataille étaient autour de nous. Tu es là, avec ta mère, ton père, ton frère. C’est autre chose que d’envoyer un soldat au loin; lui sait que son propre monde est préservé.»


Vivre le conflit

L’auteur parle en connaissance de cause. Il a grandi dans la capitale libanaise, il avait 10 ans quand la guerre a éclaté. De parents francophiles, de langue arabe, il a pourtant choisi d’écrire son premier roman, paru sous le titre De Niro’s Game (en référence aux scènes anthologiques de roulette russe de l’acteur dans le film Voyage au bout de l’enfer), en anglais. «Quand je suis arrivé à New York en 1982, j’ai du m’immerger dans l’anglais pendant de longues années, mettre de côté mes premières langues pour apprendre à lire et me faire comprendre, pour survivre.» Dans la mégalopole, puis à Montréal, où il s’installe au début des années 90, il étudie la photographie, une pratique qui déteint sur sa plume. Un des personnages de Parfum de poussière le constate: «La photographie parle toujours de la mort». «Parce qu’elle capte un moment révolu, qui ne reviendra pas, complète l’auteur. L’écrivain, lui, doit de se transporter sur les lieux et dans l’époque dont il parle, et en même temps, c’est très paradoxal… il doit s’effacer, avoir une distance, revenir au présent régulièrement. Quand j’écris, poursuit-il, je choisis les points de vue, les angles, de façon spécifique.» Au pied d’un escalier qu’on dévale, sur le toit de l’immeuble pendant un bombardement, ou dans l’embrasement d’un mur effondré, Bassam le narrateur observe sa ville; son envie d’ailleurs et sa lucidité, entrecoupée de délires et de phantasmes, apportent à sa voix une poésie rageuse, mais envoûtante, qui constitue la grande force du roman.


La violence s’insinue plus profondément à chaque scène d’inhumanité, elle ravage les nerfs de tous les personnages. Quand une bombe s’abat à ses pieds, Bassam évacue les blessés, qui deviennent parfois cadavres dans ses bras. À travers le dédale de la ville en ruines, les chiens abandonnés de ceux qui ont quitté Beyrouth forment des meutes avides, maigres et hétéroclites qu’on finit par massacrer par besoin de défoulement et crainte des maladies. Et bientôt, les milices chrétiennes courtisent Georges et Bassam. Eux qui ne font plus grand cas de la mort feraient de si bonnes recrues...


«Du point de vue idéologique, ils sont au-delà du cirque religieux, analyse l’auteur. Bassam ne croit pas, simplement. À ses yeux, tous les groupements religieux sont faux, rien de tout cela n’est réel. Georges lui, a encore l’espoir d’aider son pays, il cherche à évacuer sa colère, mais il n’est pas croyant non plus.» Rawi Hage évoque Camus, dont la pensée occupe une place privilégiée dans Un parfum de poussière: «parce que l’existentialisme est un mouvement philosophique libérateur, qui permet de se défendre des groupes qui basent leur idéologie sur une morale religieuse. J’ai baigné dans une famille aux valeurs chrétiennes, mais je suis laïc. Ce qui m’a soustrait à toute emprise religieuse, ce sont les rencontres, les voyages, les études en art, les auteurs tels que Michel Foucault, Noam Chomsky, qui ne laissent pas d’autre choix que de s’ouvrir.»


Côtoyer la mortParfum de poussière mélange le symbolique et le philosophique selon un dosage percutant. Les rituels entourant la mort y prennent un sens élargi. «Le deuil est quelque chose de très grand, et même de monumental dans l’Orient, prévient Rawi Hage. Cela peut paraître mélodramatique, ces femmes endeuillées qui gémissent, ces lamentations, mais il y a une réelle poésie du deuil. Par exemple, quand un jeune homme non marié meurt, on danse avec le cercueil, on lui fait vivre le mariage qu’il n’a pas pu avoir. Le deuil n’est pas un événement intime, privé. Au Liban, c’est un événement collectif qu’il faut partager et qui rassemble les gens.»


Le gouvernement libanais, après cette guerre destructrice, est préoccupé par la reconstruction des immeubles, «Mais, déplore Rawi Hage, il n’y a jamais eu d’encouragement à s’exprimer sur le traumatisme vécu. Il n’y a pas de monuments, ils ont tout simplement cherché à effacer la mémoire de guerre. Seuls quelques artistes, individuellement, cinéastes, poètes, dramaturges, ont essayé de préserver cette mémoire. Tout le monde au Liban a des histoires de guerre à raconter. Peu en parlent. J’ai choisi de les écrire.»


Depuis qu’il s’est installé en Amérique du Nord, Rawi Hage est retourné deux fois au Liban. «Et la deuxième fois sera la dernière, croit-il. C’est douloureux, cela provoque un mélange de nostalgie et de chagrin. Persévérer dans la voie artistique a exigé des sacrifices.» Qui ont fini par lui apporter un succès fulgurant, il a été nominé pour le Prix Giller, a remporté les prix Hugh MacLennan de fiction et MacAuslan du premier ouvrage et est de la première sélection du Prix des libraires du Québec 2008.


Quant à son second roman, qui paraîtra ce printemps en anglais, il abordera les thèmes de la maladie mentale, de l’immigration. «Il sera plus psychologique, révèle l'écrivain. Il s’agira de trafic d’armes, on y fera de nombreux va-et-vient entre l’Amérique du Nord et le Moyen Orient.» Et il aura pour cadre principal la ville de Montréal.

mercredi 20 février 2008

La recrue du mois de mars: Rawi Hage - Parfum de poussière

Il pleut des bombes sur Beyrouth. Par légions de dix mille, les fléaux s'abattent sur cette ville déchirée par la guerre civile. Sous un soleil de plomb, on se livre une guerre sans merci pendant que les innocents se terrent dans les abris comme des rats.

Bassam et Georges sont deux amis d'enfance qui ont grandi au milieu de cet enfer de gravats et de sang, dans l'écho assourdissant des détonations. Les deux voyous vivent de menus larcins jusqu'au jour où la dure réalité de la guerre vient les rattraper et les contraindre à un choix difficile : prendre les armes ou prendre la fuite. Tandis que Georges est séduit par les idéologies guerrières de la milice, Bassam, de son côté, rêve de s'enfuir en Europe. Mais ceux qui partent ne reviennent jamais.

Salué par la critique anglo-saxonne comme l'un des romans les plus puissants jamais écrit sur la réalité de la guerre, Parfum de poussière a révélé un écrivain doté d'un talent de conteur brut et d¹une plume sauvage, hallucinée. Cru et fort comme un direct à l'estomac, ce premier roman dresse un portrait cinglant de l'absurdité de la violence qui n'est pas sans évoquer L'étranger de Camus, dont le spectre flotte sur ses pages, tachées par la poussière et le sang des hommes.

Réf. : Parfum de poussière, Rawi Hage. Éditions Alto, 2007, 362 pages,
ISBN : 978-2-923550-10-7

vendredi 15 février 2008

Complainte amoureuse langoureuse

Judas commence par une « Entrée en matière » et une fois arrivé à la dernière page, j’y suis revenue et j’ai réalisé que tout était dit dans cette page et demie. C’est le résumé du livre, point à la ligne. Neffeli, le personnage principal raconte la part des trois hommes dans sa vie : son père, qu’elle nomme le placier de sa vie parce qu’il l’a incité à des études prestigieuses d’architecte pour sa réputation à lui autant qu’à elle. Son fiancé de Damas qui l’aime parfaitement mais de loin, même si elle est assurément très imparfaite. Et le garçon juif pour lequel elle éprouve une obsession à l’état brut.

Comme la trame de fond est mince, il s’agit de s’intéresser à cette obsession déconcertante pour ce garçon juif dans l’espoir, qui sait, d’en comprendre la source. Celui qu’elle nommera souvent le « pieux » nous ne le connaîtrons pas vraiment autrement que sous les dehors d’un garçon juif orthodoxe qui tient à exercer sa religion même si elle le fait souffrir. Lui, est récemment divorcé, elle, vient tout juste d’avorter du bébé du fiancé et les deux se reconnaissent dans la salle d’urgence d’un hôpital. Comme le fiancé de Neffeli est retenu au chevet de son père à Damas, la route est libre pour qu’elle se laisser couler à fond par son mal de peau du garçon juif.

Les dialogues sont rares, le vive-voix parcimonieusement égaré par ci et par là, ce qui a fini par me manquer, ne serait-ce que pour me sortir de la rengaine du « je souffre de ton absence ». Évidemment, c’est cohérent, il s’agit d’une obsession et une obsession contient son lot d’incessants recommencements !

Une belle écriture qui se démarque dans l’art de la complainte amoureuse langoureuse. De belles envolées en ce sens précis laissent la place, un peu abruptement parfois, à une écriture plus quotidienne. Ces styles d’écriture se juxtaposent et sporadiquement, arrivent des lettres, jamais expédiées au destinataire que j’ai appréciées plus pour l’esthétisme pur que pour l’émotion touchante.

La trame de l’histoire est si ténue que j’ai presque fini par me dire, un beau style, oui, mais pour servir quelle intrigue ? J'aurais apprécié une histoire plus étoffée et j'ai eu de la difficulté à sentir l'incarnation des personnages, le principal y compris. Par exemple, Neffeli est une architecte et il est très difficile d’y croire. Ensuite, sa gang d’amies au début, c’est intéressant et puis ensuite, elles s’éclipsent complètement nous laissant fin seul avec un dialogue intérieur qui, tout bien tourné qu’il soit, finit par lasser à la longue.

Un amour improbable

Valse-hésitation entre les protagonistes, tango alambiqué entre le vécu et les rêves de la narratrice, réfraction entre le chant du cantor de synagogue qui brime en même temps qu’il libère, Judas de Tassia Trifiatis a les défauts de ses qualités. En voulant explorer un univers inusité, l’auteure m’a fait hésiter entre tendresse et énervement, la poésie de son style ne réussissant pas à masquer les mines dissimulées un peu partout en sous-texte, prêtes à exploser au moindre pas. Quand on s’y attarde, l’histoire est simple : un amour improbable entre Neffeli, jeune Grecque des plus affranchies mais ployant sous le poids de la tradition et Yéhouda, grand garçon juif orthodoxe écrasé par les diktats de sa religion mais qui au fond, ne demande qu’à s’en affranchir. Deux êtres finalement pas si différents de nous tous.

Le point de départ de l’histoire ne m’a jamais entièrement convaincue et cela m’a empêchée par moments de me laisser subjuguer par le récit. Comment imaginer, même en s’assumant en tant que suprême deus ex machina, qu’une femme qui vient de se faire avorter puisse être ouverte à autre chose qu’à la douleur qui la traverse, qu’elle osera jeter un regard, fût-il désintéressé ou simplement amusé, sur ce Juif hassidique venu accompagner un parent? Je comprends bien – je serais tentée d’écrire « trop bien », l’auteure y revenant suffisamment abondamment pour que l’on ne l’oublie pas! – que Neffeli s’attache à Yéhouda en partie parce qu’elle cherche à combler ce vide en elle, physique et émotif. Mais est-ce suffisant pour amorcer une histoire aussi complexe que celle-ci? Je reste sceptique. Et pourquoi continue-t-elle d’écrire à ce mystérieux fiancé, égaré là-bas dans sa Syrie natale (et comment a-t-elle pu le rencontrer, celui-là)? Pourquoi n’ose-t-elle pas s’assumer entièrement et juge-t-elle avoir besoin de se réfugier dans le cocon familial? Il nous manque trop d’informations pour qu’on y croie entièrement.

Le style est fluide et contient suffisamment d’images réussies pour qu’on s’y attarde quelques instants en les lisant. « Comme des bulles de savon, ses expériences avec moi lui éclataient au visage. Et il jubilait. Je lui avais mis de la boue sur les paupières. Depuis, il voyait. » (page 61) L’histoire d’amour est suffisamment attachante pour que les personnages continuent de nous hanter, une fois le livre refermé. Pourtant, je continue de m’interroger sur les failles de ce premier roman, sa chute précipitée notamment. Après avoir choisi la voie (et la voix) de la tendresse, du lien qui se tisse doucement, aussi subtilement que la laine du châle de prière, Tassia Trifiatis fait basculer les amoureux dans le néant du quotidien qui reprend ses droits, avec une désinvolture presque violente qui m’a laissée des plus perplexes. Comme une histoire d’amour qui se termine en queue de poisson…

Pas grand chose

Je vous l’annonce d’entrée de jeu, je n’aurai pas grand-chose à dire sur ce roman. Même en faire un résumé cohérent ne me vient pas facilement. C’est ce qui arrive lorsqu’on ne parvient pas à embarquer dans l’univers que l’on nous propose.

Judas, c’est ça pour moi. Ce n’est pas que le travail de Tassia Trifiatis soit mauvais. Malgré certaines petites maladresses qui auraient pu être évitées, l’écriture est tout à fait correcte. Le contexte et les personnages assez bien esquissés. Mais ça ne lève pas. C’est peut-être au niveau de l’histoire que ça accroche.

Je n’ai pas eu beaucoup d’intérêt à suivre l’espèce d’errance du cœur que vit Neffeli après son avortement. Grecque d’origine vivant à Montréal, elle s’embarque dans une relation bizarre avec Yéhouda, un jeune homme juif tiraillé entre ses pulsions profondes et le dictat de sa religion. Les différences culturelles sont bien démontrées. Le contexte nous rappelle Hadassa mais en beaucoup moins bon, faut-il à juste titre le préciser.

Déceptions... et pourtant

Judas, premier roman de Tassia Trifiatis, tourne autour du thème de la trahison. Le personnage principal, Neffeli, vit une passion amoureuse torturée avec un juif hassidim, Yéhouda, après un avortement qui la hante et alors qu’elle va laisser tomber son fiancé Haïtem, parti séjourner en Syrie.

J’avais beaucoup d’attentes devant ce roman. C’est sans doute pourquoi je suis si déçue de cette lecture.

Ma première déception, concerne le niveau d’érudition du roman. Je m’attendais à plus d’une auteure d’origine grecque vivant dans une ville aussi multiethnique que Montréal. Le sujet central du roman est la différence entre l’héroïne et Yéhouda et l’impossibilité pour eux de partager leur monde. Est-ce voulu qu’on ne s’arrête qu’au dehors de ce qui caractérise la communauté juive orthodoxe? Qu’on n’y apprenne rien, qu’on reste en surface, avec une impression de surfer sur les apparences? Les allusions à la culture arabe, à la musicalité de la langue, sont décevantes. Même la Grèce, que l’auteur connaît pourtant, reste pâle et sous-utilisée.

Autre déception, le propos. La trahison est un thème riche. Évocateur. Qui a nourri de nombreux romans, inspiré plusieurs créateurs. Probable que cela continuera à inspirer encore de grandes œuvres. Pourtant, ici, je n’ai pas « senti » cette trahison. On me l’a bien suggérée, en appuyant beaucoup d’ailleurs, mais sans succès. Elle est désincarnée. Conceptuelle. Absente dans l’essence même de ce qu’est la trahison.

Autre déception : le processus narratif incluant des « lettres » destinées à être tour à tour détruites, cachées, effacées… On se demande à quoi elles servent, réellement. Déjà que la narration est au « je », on n’ajoute rien de nouveau à l’angle d’approche du personnage central par cette étrange insertion épistolaire.

J’en arrive à ma déception ultime, celle qui m’a pratiquement fait refermer le livre avant même la cinquantième page : le style. Quelle lourdeur! J’ai mis un temps fou à lire ce mince roman de 142 pages. L’écriture ne « coule » pas. On s’empêtre dans un style affecté, ronflant, qui cherche l’effet sans faire mouche. J’ai été agacée par l’impression constante de l’exercice de style. J’ai tiqué notamment sur ces métaphores répétées à l’envi, sur les thèmes les plus divers : rivages marins (p. 73), instinct de loup (p. 82), scène de théâtre (p. 114), etc. Sans compter les phrases alourdies d’adverbes et d’adjectifs inutiles. Un exemple? « Ma bouche aussi avait juré qu’elle ne collerait plus ses papilles sur ses gouttes effrayées, sur l’épicarpe de viande aigre-douce du garçon juif. » (p. 82)

Mentionnons au passage des fautes d’orthographe qui rendent, pour certaines, la compréhension difficile : le « gargon (garçon) juif » (p. 53), « Mon amie avait toujours était (été) bonne au jeu de l’exagération » (p. 62), « Ainsi j’ai fini par tout avouer à la dame aux cheveux, donc (dont) j’enviais l’inertie. » (p. 77), « j’étais entré (entrée) chez lui » (p. 133) Je dois dire à cet effet que ces fautes m’ont surprise venant d’un éditeur comme Leméac. Car ici, ce n’est pas l’auteure qu’il faut blâmer mais la personne qui a supervisé la relecture du manuscrit final.

Déceptions, donc, que cette lecture de Judas.

Pourtant…

Pourtant, je ne saurais nier le talent manifeste de Tassia Trifiatis. Son sens de la langue. Cela mérite qu’on le souligne. Mais il lui faudra se départir de son enveloppe de « bonne étudiante » pour s’assouplir, se délester de tout ce qui alourdit son style et prendre enfin son envol d’écrivain. Ainsi, malgré toutes mes réserves devant ce Judas, je décèle chez Tassia Trifiatis l’écrivain en devenir.

Une belle poésie... une petite déception

Neffeli est d’origine grecque, elle vit à Montréal et est fiancée à un Syrien, Haïthem. Voilà le point de départ du maëlstrom identitaire qui forme la colonne de ce livre. La nouvelle pièce au puzzle c’est une rencontre inopinée avec un Juif hassidique dans la salle d’hôpital où Neffeli va faire vérifier les suites de son avortement. Il s’agit donc d’une histoire de désir impossible, d’une relation secrète et maudite, passionnelle et sans lendemain. Il y a aussi, dans cet étrange récit, la volonté de faire un pont entre la douleur de l’enfant perdu et celle de cet amour impossible, l’innocence du jeune juif comblant le vide de l’enfant qui ne sera jamais.

Tassia Trifiatis écrit incroyablement bien. Il y a une poésie, un lyrisme, une richesse dans sa plume qui donne envie de la connaître plus, de l’entendre davantage. Mais en attendant un deuxième roman, je n’ai pas du tout embarqué dans cette histoire comme une métaphore. À un moment donné, la poésie semble s’enrouler sur elle-même et ne pas avoir d’autres fins. Je suis assez d’accord avec Jade Bérubé de La Presse lorsqu’elle écrit «… la poésie des premiers chapitres ne prend pas l'envol attendu par la suite et l'on se surprend à espérer un développement autre que lyrique.» Je ne saurais mieux dire !

J’ajouterais que l’entêtement de Neffeli a fini par me tomber sur les nerfs. Je suis dans une phase où les personnages littéraires qui font des fous d’eux sous prétexte de passion m’énervent au plus haut point. Comment disent-ils… been there, done that !

La vie à double voie...

Je passe à la confesse et j’avoue avoir confié à quelqu’un que ce titre et son quatrième de couverture ne m’inspiraient vraiment pas ! Surprise ! J’ai dévoré ce roman. Il faut dire que j’ai depuis très longtemps un faible pour les relations inter-culturelles et toute leur complexité ! L’élément appréciable chez Trifiatis, c’est qu’elle n’a pas essayé d’enjoliver le quotidien de ces êtres souvent poussés au déchirement qu’imposent les différences culturelles et la religion dans un couple. Elle a une écriture poétique et réaliste. Les textes sont travaillés et les lettres originales. Un seul bémol, la place consacrée à Haïthem est trop minuscule pour développer une certaine révolte face à la vie en parallèle que mène Neffeli. Ce n’était peut-être pas l’effet voulu, mais je pense que l’élément « piquant » aurait été un peu plus au rendez-vous ! Un excellent début...

Trahisons...

Neffeli - la narratrice - a 3 hommes dans sa vie : son Père, « le placier de [sa] vie », Haïthem, « [son] fiancé qu['elle a] l'intention de quitter » et Yehouda, le garçon juif, le pieux... son amant. Une rencontre amoureuse entre deux êtres qu'une religion sépare, voilà ce que nous raconte Tassia Trifiatis dans son premier roman, Judas.

Neffeli et Yehouda se rencontrent à l'hôpital, suite à l'avortement de cette dernière. Yehouda va vite prendre la place de cet enfant perdu... Voilà surement une des choses qui m'a déplu dans ce roman : la base de cette histoire d'amour, ce jeune homme que la narratrice appelera souvent son enfant, qui en devient un substitut... alors que si peu d'années les séparent et qu'ils s'aiment.

Et l'amour n'est pas le plus fort face à la ferveur religieuse de Yehouda. Alors qu'on pourrait croire que le fiancé de Neffeli est L'obstacle à leur histoire, hé ben non, c'est la ferveur religieuse de Yehouda qui va être une entrave...

J'avoue que tous ces éléments ne m'ont guère fait accrocher à l'histoire. De plus, je n'ai pas été, non plus, emballée par l'écriture de Tassia Trifiatis. Elle est pleine de métaphores... un peu trop, à mon goût. Pendant un paragraphe, elle va faire des métaphores sur un même thème. Je les ai parfois trouvées maladroites, mais j'ai surtout trouvé qu'il y en avait trop. Et puis la narratrice n'était pas tout le temps clair et j'avoue que cela m'a quelques fois perturbé...

En conclusion, mon avis reste très mitigé sur ce roman, n'ayant été emballée ni par l'histoire, ni par l'écriture de Tassia Trifiatis...

vendredi 1 février 2008

Chez cyberpresse.ca...

Le dimanche 16 septembre 2007
Judas : un premier roman fort intéressant

Jade Bérubé
La Presse
Collaboration spéciale

Judicieux titre que ce Judas. L'héroïne de ce premier roman de Tassia Trifiatis ne se laisse d'ailleurs voir que par à coups, entre des coulées de mots. Noyée dans un sentiment de culpabilité après un avortement irréfléchi, alors qu'elle vient à peine «d'extraire la bague de fiançailles de son ventre» sans le dire au fiancé, Neffeli rencontre Yehouda dans la salle des urgences. Se tisse alors un étrange lien affectif entre la coupable et le jeune juif hassidique audacieux et ostracisé par ses pairs. C'est que dans un trouble transfert, Neffeli s'approprie rapidement le jeune homme, l'habillant du suaire de son enfant perdu.

S'ensuit une relation où l'érotisme frôle constamment la quête, Neffeli s'obstinant à nier l'absence dans ses entrailles, ouvrant au garçon juif «le judas de sa chair». Or, Yehouda délaisse un jour la nouvelle matrice non juive pour retourner à sa communauté, laissant Neffeli gérer la double perte.

Visiblement, Tassia Trifiatis livre ici un premier roman fort intéressant, jouant si bien avec les métaphores qu'érotisme et maternité se confondent habilement. Toutefois, la poésie des premiers chapitres ne prend pas l'envol attendu par la suite et l'on se surprend à espérer un développement autre que lyrique. L'idée aura-t-elle dépassé l'auteure qui, ne sachant où la mener, n'a pu faire autrement que la laisser tourbillonner sur elle-même? Peut-être. À suivre