Édition du samedi 17 et du dimanche 18 novembre 2007
C'est l'histoire d'une amitié entre deux adolescents. Deux adolescents qui jouent à la guerre, comme au cinéma. Tandis que les bombes tombent pour vrai. Ça se passe au Liban, en pleine guerre civile. Et c'est complètement hallucinant.
C'est le premier roman d'un Montréalais, né à Beyrouth en 1964. Rawi Hage a quitté le Liban en 1984, a vécu un temps à New York. D'abord photographe, il écrit en anglais.
Paru l'an dernier, bientôt traduit dans une dizaine de pays, son livre nous arrive en version française couvert d'éloges et prix. Outre le savant dosage de lyrisme et de laconisme de l'ouvrage, c'est son imagerie qui a séduit jurys et critiques littéraires au Canada anglais.
Parmi les admirateurs transis de Parfum de poussière: le réalisateur et producteur torontois Atom Egoyan, qui a d'ailleurs acheté les droits du roman pour le cinéma. Cité en quatrième de couverture du livre, il précise: «Les images évoquées explosent comme dix mille bombes dans l'imaginaire du lecteur.»
On ne saurait mieux dire. Dès les premières pages, les premières phrases, on est soufflé. Par l'absurdité de la guerre, vécue au quotidien. «Les bombes pleuvaient et j'attendais Georges.»
C'est Bassam, l'ami d'enfance de Georges qui raconte. «Dix mille bombes s'étaient abattues sur Beyrouth, cette ville surpeuplée, et j'étais étendu sur un divan bleu couvert d'un drap blanc censé le protéger de la poussière et des pieds sales.»
Cette sorte de nonchalance, propre aux adolescents. Qui se croient au-dessus de la mêlée, où qu'ils soient. Qui se croient invincibles, aussi, tout puissants, éternels. C'est ce qui fait en grande partie l'originalité du roman: nous donner à voir ce point de vue-là, de l'intérieur, dans ce qu'il a de particulier et d'universel.
La grande force de Parfum de poussière réside avant tout dans le fait qu'on dépasse le contexte pur et dur de la guerre, tout en étant de plein fouet dedans. C'est-à-dire: l'amitié, mais aussi l'amour, la sexualité, la nécessité de donner un sens à sa vie, tout ça taraude les deux adolescents au coeur de l'histoire. Mais tout ça est décuplé, vu la guerre, la violence, le danger. Vu la déshumanisation ambiante. Et le sentiment d'urgence.
Ça commence par de petits gestes insignifiants. Voler de l'essence, pour faire rouler sa moto. Tirer des coups de pistolet en l'air, pour se montrer fort. Puis ça dégénère. De petit voyou, on se transforme en mercenaire sans foi ni loi. De toute façon, c'est le chaos, non? Et il faut bien sauver sa peau.
Plus on avance dans Parfum de poussière, plus on s'enfonce. Dans la corruption, la vengeance. Dans la violence. Dans l'horreur, les tueries, les massacres. Au bout d'un moment, on a envie de crier: assez! On en a assez vu, assez lu. Quel besoin d'entrer dans les détails à ce point, d'aller aussi loin dans les descriptions sanguinaires?
Ce qui nous retient, nous sauve en quelque sorte de l'étouffement, c'est le lien qui unit les deux adolescents. Malgré le fossé qui s'installe entre eux, tandis qu'ils sont laissés à eux-mêmes au milieu de l'enfer. Les deux font la paire, finalement.
Partir, fuir à tout prix la barbarie? Ou prendre les armes pour défendre son honneur, sa patrie? Chacun de leur côté, les deux garçons donnent une réponse opposée au dilemme qui leur est posé. Tout en choisissant de garder indemne leur amitié.
Le roman aurait pu s'arrêter là. Sur une scène de roulette russe digne d'un film de guerre hollywoodien. Alors que l'un s'apprête à quitter son pays détruit, et que l'autre, qui se prend pour De Niro, ressasse ad nauseam ses hauts faits de héros. Un héros devenu bourreau par la force des choses.
On est là, au milieu de nulle part, au milieu du désastre avec eux. On dirait une hallucination. Toutes ces images qui défilent en flash-back. Ces images de massacre où les corps volent en éclats dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila.
C'est Georges qui parle, cette fois: «À l'extérieur, des corps gonflés roulés dans le sable. Le sang figé en étangs noirs, les mouches vertes voraces, les bulldozers qui creusaient de grandes fosses où s'entassaient les cadavres. Comme dans un film. Tout ça, c'était comme dans un film. Des morts partout. T'en veux encore? T'en veux? Encore?»
Non, ce n'est pas fini. Même une fois à Paris. Même dans une autre vie. Comment oublier les atrocités? Comment accepter que votre meilleur ami y a participé? Et comment se remettre de l'avoir perdu, à lui, votre pote de toujours, qui s'est fait éclater la cervelle sous vos yeux?
Ça continue, oui. Ça ne vous lâche pas. Comment oublier? Le père mort sous les bombes, la mère morte sous les bombes. L'odeur de la mort, des bombes. La poussière, son parfum.
Comment se débarrasser de ses cauchemars? De son passé, de son identité? Comment marcher dans la rue sans une arme, prêt à dégainer? Comment vivre, maintenant... tout en sachant que «les chambres de torture, elles sont en nous»?
Pas de réponses, dans Parfum de poussière. D'où le malaise. Et la force de frappe. Ça s'appelle de l'art, non? L'art du roman, à la façon de Rawi Hage, disons.
Pas question de le perdre de vue, celui-là. On attend déjà son deuxième roman, prévu pour 2008. Et qui devrait se passer à Montréal...
Paru l'an dernier, bientôt traduit dans une dizaine de pays, son livre nous arrive en version française couvert d'éloges et prix. Outre le savant dosage de lyrisme et de laconisme de l'ouvrage, c'est son imagerie qui a séduit jurys et critiques littéraires au Canada anglais.
Parmi les admirateurs transis de Parfum de poussière: le réalisateur et producteur torontois Atom Egoyan, qui a d'ailleurs acheté les droits du roman pour le cinéma. Cité en quatrième de couverture du livre, il précise: «Les images évoquées explosent comme dix mille bombes dans l'imaginaire du lecteur.»
On ne saurait mieux dire. Dès les premières pages, les premières phrases, on est soufflé. Par l'absurdité de la guerre, vécue au quotidien. «Les bombes pleuvaient et j'attendais Georges.»
C'est Bassam, l'ami d'enfance de Georges qui raconte. «Dix mille bombes s'étaient abattues sur Beyrouth, cette ville surpeuplée, et j'étais étendu sur un divan bleu couvert d'un drap blanc censé le protéger de la poussière et des pieds sales.»
Cette sorte de nonchalance, propre aux adolescents. Qui se croient au-dessus de la mêlée, où qu'ils soient. Qui se croient invincibles, aussi, tout puissants, éternels. C'est ce qui fait en grande partie l'originalité du roman: nous donner à voir ce point de vue-là, de l'intérieur, dans ce qu'il a de particulier et d'universel.
La grande force de Parfum de poussière réside avant tout dans le fait qu'on dépasse le contexte pur et dur de la guerre, tout en étant de plein fouet dedans. C'est-à-dire: l'amitié, mais aussi l'amour, la sexualité, la nécessité de donner un sens à sa vie, tout ça taraude les deux adolescents au coeur de l'histoire. Mais tout ça est décuplé, vu la guerre, la violence, le danger. Vu la déshumanisation ambiante. Et le sentiment d'urgence.
Ça commence par de petits gestes insignifiants. Voler de l'essence, pour faire rouler sa moto. Tirer des coups de pistolet en l'air, pour se montrer fort. Puis ça dégénère. De petit voyou, on se transforme en mercenaire sans foi ni loi. De toute façon, c'est le chaos, non? Et il faut bien sauver sa peau.
Plus on avance dans Parfum de poussière, plus on s'enfonce. Dans la corruption, la vengeance. Dans la violence. Dans l'horreur, les tueries, les massacres. Au bout d'un moment, on a envie de crier: assez! On en a assez vu, assez lu. Quel besoin d'entrer dans les détails à ce point, d'aller aussi loin dans les descriptions sanguinaires?
Ce qui nous retient, nous sauve en quelque sorte de l'étouffement, c'est le lien qui unit les deux adolescents. Malgré le fossé qui s'installe entre eux, tandis qu'ils sont laissés à eux-mêmes au milieu de l'enfer. Les deux font la paire, finalement.
Partir, fuir à tout prix la barbarie? Ou prendre les armes pour défendre son honneur, sa patrie? Chacun de leur côté, les deux garçons donnent une réponse opposée au dilemme qui leur est posé. Tout en choisissant de garder indemne leur amitié.
Le roman aurait pu s'arrêter là. Sur une scène de roulette russe digne d'un film de guerre hollywoodien. Alors que l'un s'apprête à quitter son pays détruit, et que l'autre, qui se prend pour De Niro, ressasse ad nauseam ses hauts faits de héros. Un héros devenu bourreau par la force des choses.
On est là, au milieu de nulle part, au milieu du désastre avec eux. On dirait une hallucination. Toutes ces images qui défilent en flash-back. Ces images de massacre où les corps volent en éclats dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila.
C'est Georges qui parle, cette fois: «À l'extérieur, des corps gonflés roulés dans le sable. Le sang figé en étangs noirs, les mouches vertes voraces, les bulldozers qui creusaient de grandes fosses où s'entassaient les cadavres. Comme dans un film. Tout ça, c'était comme dans un film. Des morts partout. T'en veux encore? T'en veux? Encore?»
Non, ce n'est pas fini. Même une fois à Paris. Même dans une autre vie. Comment oublier les atrocités? Comment accepter que votre meilleur ami y a participé? Et comment se remettre de l'avoir perdu, à lui, votre pote de toujours, qui s'est fait éclater la cervelle sous vos yeux?
Ça continue, oui. Ça ne vous lâche pas. Comment oublier? Le père mort sous les bombes, la mère morte sous les bombes. L'odeur de la mort, des bombes. La poussière, son parfum.
Comment se débarrasser de ses cauchemars? De son passé, de son identité? Comment marcher dans la rue sans une arme, prêt à dégainer? Comment vivre, maintenant... tout en sachant que «les chambres de torture, elles sont en nous»?
Pas de réponses, dans Parfum de poussière. D'où le malaise. Et la force de frappe. Ça s'appelle de l'art, non? L'art du roman, à la façon de Rawi Hage, disons.
Pas question de le perdre de vue, celui-là. On attend déjà son deuxième roman, prévu pour 2008. Et qui devrait se passer à Montréal...
4 commentaires:
Hiii... comment brûler le punch d'un livre dans une critique! Tu parles d'une drôle d'idée!
Oups! Je ne l'ai pas encore lu! C'est bien détaillé, mais ça dévoile vraiment tout?!
ben pas tout dans le sens où la force de ce livre est beaucoup dans son style et ça jamais une critique ne pourra le brûler...
Mais bon!
Allez ouste, va lire, c'est bientôt le 15 ;o).
J'ai lu la moitié de la critique et puis, hop quand on a commencé à me dévoiler l'histoire moi qui en est à la page 88, j'ai arrêté. J'ai horreur d'apprendre les aléas de l'histoire par la bouche d'une critique. Heureusement, il y en a des moins "malendurants" que moi !
Ceci dit, pour ce que j'en ai lu, cette critique semble très intéressante, je vais y revenir quand je vais fermer le quatrième de couverture.
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