mercredi 5 mars 2008

Chez Impact Campus...

par Mélodie Simard-Houde - Arts et spectalces

Camus a écrit : «L’avenir est la seule transcendance des hommes sans Dieu.» Et lorsqu’il n’y a plus d’avenir? Tout n’est qu’absurdité. Rawi Hage se raccroche à cette constatation dans son premier roman, Parfum de poussière (traduit de l’anglais par Sophie Voillot). Dans cette œuvre saluée par la critique anglophone, Hage décrit la vie de Beyrouth en pleine guerre civile, vie qu’il a lui-même menée pendant neuf ans avant de s’établir à New York, puis au Canada en 1992. C’est à travers les yeux d’un jeune homme, Bassam, que le récit prend forme: une histoire violente où le narrateur et son meilleur ami, Georges, surnommé De Niro, se retrouvent pris entre deux solutions extrêmes: fuir le pays ou s’engager dans la milice chrétienne de Beyrouth, décision sur laquelle on ne revient pas… Au contraire de son ami, Bassam ne rêve que de fuir vers Rome, fuir sa ville ravagée par les bombes qui tombent par milliers et hantée par les cris et les pleurs pathétiques des femmes.

Lorsque son existence sera mise en jeu par des accusations de meurtre, c’est vers Paris que Bassam prendra la fuite, mais son destin ne tardera pas à le rattraper sous la forme d’un complot dont il n’est, en somme, qu’un tout petit pion.

En attendant, la vie continue comme si de rien n’était. La guerre devient une réalité intégrée au quotidien et, tel le protagoniste de L’Étranger, Bassam semble flotter au-dessus de toute chose, insensible à la mort de sa mère, risquant tout chaque jour mais se sentant non moins invincible (ou alors indifférent?) comme ces jeunes hommes de Beyrouth qui jouent à la roulette russe pour passer le temps. D’ailleurs, le titre original du roman est De Niro’s Game, en référence au film Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter), dans lequel Robert De Niro joue à la gachette. Le livre est par ailleurs parsemé de pointes subtiles soulignant l’influence omniprésente de la culture américaine chez les jeunes Libanais, pris entre le nationalisme violent, les relents colonialistes français et cet attrait puissant de l’image hollywoodienne.

L’écriture de Hage est d’une grande simplicité, qui laisse d’autant mieux transparaître urgence et violence. On l’a qualifiée de flat, ce qui pourrait se traduire par un ton plat, certes, mais où l’énormité de ce qui est dit fait contraste. Toutefois, l’écriture se fait aussi à l’occasion très lyrique, déployant des images puissantes et originales, notamment dans la troisième partie, où Bassam se retrouve à Paris, désorienté. C’est ce mélange particulier qui frappe et qui donne toute sa force évocatrice à la plume de l’auteur. À mille lieues de l’écriture «blanche» de Camus, celle de Hage a trouvé un ton juste pour parler de l’absurdité de la guerre, imprégnée d’une trace d’humour très noir.

Laissons au lecteur, en terminant, le soin d’en juger: «Les riches en partance pour la France lâchaient leurs bêtes dans la jungle urbaine: toutous orphelins, bichons de luxe dressés à être propres, bassets portant prénom français et nœud papillon rouge, caniches frisés au pedigree impeccable, cabots chinois ou génétiquement modifiés, clébards incestueux agglutinés en bandes qui couraient les rues par dizaines, unis sous le commandement d’un bâtard charismatique à trois pattes. La meute de chiens la plus chère du monde errait dans Beyrouth, courait sur la Terre, hurlait à la lune énorme et dévorait des montagnes de déchets à tous les coins de rue.»

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