Quartier Libre
Journal indépendant des étudiants de l'Université de Montréal
La peau des doigts commence par ces mots : « J’ai ta chair arrachée entre les dents ». Pourtant, au premier abord, Katia Belkhodja ne ressemble pas à son livre. Chaleureuse, elle cache sa timidité derrière de grands éclats de rire. Cette Montréalaise d’origine algérienne, étudiante au baccalauréat en littérature française à l’Université de Montréal, publie son premier roman chez XYZ.
Dans l’entrée du Caféo, sur la rue Rachel au coin de Saint-Denis, Katia Belkhodja s’amuse avec un petit garçon de cinq ans à peine, fasciné de la voir si souriante. À table, derrière un chocolat chaud, elle dit bonjour aux gens qui passent, même si elle ne les connaît pas. Les voisins qui travaillent à leur ordinateur lui jettent des regards intrigués. Il faut dire que, pendant près de deux heures, elle parle en riant sans arrêt, tant qu’elle en a les larmes aux yeux. Toujours entre deux émotions, souvent dans le second degré, Katia Belkhodja est une personnalité aussi difficile à cerner que les nombreux personnages de son roman, La peau des doigts. En la voyant, on repense au début du livre, au moment où la narratrice s’adresse à une très sensuelle Doña, à la bouche pulpeuse et à la voix de gamine.
En parallèleQuand une question l’interpelle, elle se fige, songeuse : « je ne sais pas d’où elle vient cette histoire. J’avais cette phrase en tête, “j’ai ta lèvre arrachée entre les dents”, et je suis partie de ça. » Au fur et à mesure qu’elle se raconte, on reconnaît quelques éléments autobiographiques, la grand-mère kabyle, le garçon rencontré dans le métro et Doña, la fille au prénom « tellement beau ». On reconnaît surtout cette façon très particulière de s’exprimer, des phrases courtes, abruptement interrompues, reprises en escalier. Elle approuve l’idée que le lecteur, perdu dans le roman, finisse par se sentir en osmose avec les personnages. « Eux aussi, ils sont totalement perdus », dit-elle. De pays en pays, chacun se cherche et voit se diluer le lien de ses origines. Katia Belkhodja, elle, se dit Québécoise ou Algérienne, selon ce qui l’arrange. Elle regrette de ne pas parler la langue de son pays d’origine : « Je pourrais me débrouiller en arabe pour sauver ma vie, mais pas plus », dit-elle en riant. La peau des doigts est une quête de filiation, d’identité, qui passe aussi par la littérature : le jeune Gan se prend de passion pour la grande écrivaine française Marguerite Yourcenar, au point de se poster devant l’Académie française en espérant la voir. Katia avoue sans complexe que, lorsqu’elle a commencé à raconter cette histoire, elle ne savait pas que Marguerite Yourcenar était morte en 1987 ! Plutôt que de modifier ce qu’elle avait déjà écrit, elle décide que son personnage apprendra, lui aussi, au milieu du livre, que son idole est décédée il y a 20 ans...
Au fil de la plumeLe roman de Katia Belkhodja est envoûtant, empreint d’une nostalgie diffuse, soit celle du pays natal perdu au fil des migrations successives de personnages déracinés. Une errance, de l’Algérie à Montréal, en passant par Paris, dans laquelle le lecteur est lui aussi sur le point de se perdre. Elle raconte volontiers que la première version de son texte était bien plus difficile à suivre. Son éditeur, André Vanasse, lui a demandé de faire un gros travail pour « rassembler » les multiples histoires qui se croisent. Elle imite, en joignant les mains et avec une voix grave, son éditeur lui demandant de démêler le récit pour le rendre compréhensible : « On ne se souvient plus de ce personnage ! Malheureusement, le lecteur n’est pas dans la tête de Katia Belkhodja ! » Après presque un an de travail, le roman est sorti en librairie le 6 mars dernier. Quand on lui a demandé si elle avait des idées pour la couverture, Katia a haussé les épaules. Pour elle, il est temps de se détacher de ce projet entamé en 2006. Après 10 mois d’une rédaction intermittente, elle hésite longuement avant d’aller le porter chez un éditeur. Poussée par ses proches, elle se décide finalement… Mais, au lieu de tenter sa chance dans plusieurs maisons d’édition, elle se contente de le déposer chez XYZ ! « Pourquoi ? Parce que j’aime bien marcher à pied, raconte-t-elle, hilare, quand elle réalise l’incongruité de sa réponse, avant de préciser : XYZ c’est la maison d’édition la plus proche de Berri- UQAM. » On ne voit toujours pas trop le rapport, mais on n’en saura pas plus. Elle raconte en revanche qu’elle a marché jusqu’à Boréal, mais qu’elle est arrivée après la fermeture. Chez Leméac, elle est ressortie en courant. « Finalement, résume-t-elle en riant, ça a été beaucoup de sport, la publication ! ». Quand, cinq mois plus tard, XYZ l’a rappellée pour la publier, elle était en Suisse dans le cadre d’un échange universitaire. Le livre a dû attendre, comme l’aboutissement d’une errance, que son auteure nomade rentre au pays.
10 commentaires:
Il n'y a pas à dire, à travers cette entrevue, cette auteure semble des plus sympathique ... et détachée ! Et puis, le choix de la maison d'édition s'est fait d'une manière assez marrante !
André Vanasse me semble vraiment un chic type, lui aussi!
Il n'y a pas à dire, ces entrevues nous permettent de découvrir bien des facettes à un auteur et à son livre!
Pour en savoir plus sur Katia :
http://www.katiabelkhodja.com
Pour en savoir plus sur Éric :
http://www.vignola101.com/blogue/
J'hallucine où la vraie Katia Belkhodja vient de publier un commentaire?
:$ Ouais, euh, vous excuserez la non-pertinence totale par exemple.
Tu n'hallucines pas Maxime. Même les écrivains publiés sont sur Internet! (Je ne vous dis pas ce que ça me fait de savoir qu'ils attendent les résultats des prix Biblioblog... brrrr...!)
Lol, je sais que même les auteurs sont sur le net, mais c'est rare qu'ils soient aussi proches de leurs lecteurs! C'est tout à ton honneur Katia.
Katia, je t'avais dit que tu leur ferais peur. :P
Katia Belkhodja est un excellent écrivain décrit sa personnalité est aussi insaisissable que les nombreux personnages de son roman, La peau des doigts.
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