dimanche 15 juin 2008

Talent en provenance d'Alger

De la peau, des craies de couleurs et des dizaines de crêpes. Des personnages. Deux jumeaux rêveurs, un artiste et un autiste. Une grand-mère kabyle au cœur brisé et à la colère éternelle. Une cousine aux doigts brûlés, à bout de tristesse. Deux Celia. Une dentiste narcoleptique. Une petite fille qui pleure, une autre qui veut savoir pourquoi on enlève ses souliers à l’entrée des mosquées. Marguerite Yourcenar, la morte, Doña, la fille aux boucles d’oreilles. Une phrase : « Le ciel est encombré de bleu.» Et puis finalement des lieux pour accueillir cette bande et ses errances. Montréal, Paris, Casa Blanca. Quelques quais de la Seine, aussi.

Pour un premier roman, Katia Belkhodja s’engage dans le monde littéraire avec poigne. Le titre et l’odeur de la couverture, même si, parfois, cela ne veut rien dire, on fait en sorte qu’à l’ouverture du livre, je m’attendais à quelque chose de bien. J’ai eu plus que j’espérais, un style à part, une vision éthérée, un bijou de littérature migrante. La façon qu’a l’auteure d’exposer de simples histoires humaines et les réflexions, les images, qu’elle incorpore à ces histoires m’ont presque empêché de lire : je n’avais de cesse de plier, replier et plier par-dessus la pliure les pages de l’œuvre, action à laquelle je m’adonne lorsque je considère qu’un passage doit être noté, afin de ne pas en perdre la beauté et le sens. Vous aurez compris, presque toutes les pages du roman de Katia gardent aujourd’hui la cicatrice de la fascination qu’elles m’ont procurée.

En fait, ce que nous offre La peau des doigts, outre ses personnages chimériques, c’est un monde en soi. Vous me direz « Mais, Maxime, chaque roman nous fait découvrir un univers.» Certes, je ne puis qu’acquiescer à cette affirmation. Mais l’univers de ce roman-ci est tout à fait hétéroclite : c’est notre monde, mais une autre réalité. Une réalité libre de toutes conventions sociales et de tout manifeste sur la normalité. C’est un monde sécant au nôtre, un endroit où l’absurde est banal et où le banal est absurde. Le lire, c’est accepter une autre conception du sens de vivre, d’autres lois de la physique. C’est l’univers de La peau des doigts, tout en simplicité et en subtilité, une création de l’auteure qui lui a permis de faire évoluer ses personnages dans un environnement sans limites. Une dimension-parallèle dans une œuvre qui n’a pourtant rien à voir avec la fiction.

Katia Belkhodja peut également se vanter d’autre chose que sa capacité à créer des personnages et des univers hors du commun : son style. Loin de prétendre que j’ai lu tous les styles littéraires existants ou que je suis un expert en la matière, je crois pouvoir affirmer sans grande chance de me tromper que le sien est unique. Les mots, les tournures, la ponctuation, tout semble choisi dans un élan naturel pour créer un ensemble qui se tient par lui-même. On dit souvent que les lecteurs donnent vie aux personnages et aux lieux d’une œuvre. Dans ce cas, j’irais jusqu’à dire que le style seul suffit à faire exister le texte de Belkhodja. Et en ce sens, je m’autorise déjà à utiliser l’expression « du Katia Belkhodja » pour parler de son unique ouvrage, car je suis convaincu que son originalité et son style robuste mèneront l’algérienne qu’est Katia à devenir une écrivaine renommée au Québec, et, je lui souhaite, même au-delà.

Évidemment, je ne vois d’autre possibilité que de vous conseiller de courir à la librairie du coin acheter La peau des doigts et de vous imprégner de ses mots. De mon côté, il ne me reste plus qu’à espérer que ce livre n’était pas son dernier!

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