dimanche 27 janvier 2008

Dans le Devoir.com...

Christian Desmeules - Collaborateur du Devoir
Édition du samedi 10 et du dimanche 11 novembre 2007.

Observé de l'extérieur, le judaïsme dans sa pratique la plus orthodoxe semble exercer parfois une véritable fascination. Une fascination où se mêlent autant l'incompréhension que le mystère, qui se transforme parfois, pour le romancier, en invitation à pénétrer par l'imagination au-delà des volets clos et des habits noirs. À percer les codes et les rituels de cet «univers parallèle». L'an dernier seulement, Myriam Beaudoin (Hadassa) puis Marc-Alain Wolf (Kippour) ont cédé à cet appel des mots.

Tassia Trifiatis, auteure de 27 ans née à Montréal d'un père grec et d'une mère québécoise, s'amène avec un premier roman, Judas, récit d'une rencontre mouvementée entre une jeune femme grecque et un jeune homme de la communauté hassidique. Un roman empreint de violence rentrée et d'un certain désespoir d'aimer.

Neffeli Lykourgos, la narratrice, est une jeune architecte de Montréal. Ses parents sont retournés vivre en Grèce et son fiancé séjourne en Syrie au chevet de son père gravement malade. «Chez moi, les hommes sont tous loin et se veulent présents. L'un depuis une ville lointaine, l'autre depuis une ville encore plus lointaine. Et le troisième depuis ma fenêtre.» La mère? «J'aimais ma mère. Par contre, elle ne me faisait que très peu souffrir, sa présence dans ma vie était donc plutôt fade, voire délavée.»

Dans le plus grand secret, c'est-à-dire à l'insu même de son fiancé, elle vient de subir sans trop réfléchir un avortement et s'habille de noir. «Je portais mon deuil», affirme la jeune femme qui gronde de colère, de rage et d'une violence intérieure.


C'est dans la salle d'attente de l'urgence d'un hôpital où elle se rend, prise de douleurs au ventre, qu'elle fait l'improbable rencontre du jeune homme. «Deux enfants perdus, vêtus de noir, qui se soulageaient.» Yéhouda (Judas, en hébreu) est divorcé depuis quatre ans d'un bref mariage et ne s'est jamais remarié -- un exploit, semble-t-il, dans sa communauté. Il a les dents mal alignées, les joues couvertes d'une barbe faible, il porte des lunettes dont les montures sont trop larges pour son visage. Il habite le quartier de l'enfance perdue de Neffeli, elle ne le trouve pas séduisant. Et pourtant. Même si c'est lui qui croit venir vers elle, il deviendra vite la proie consentante d'un jeu dangereux.


«Depuis notre première nuit ensemble à l'hôpital, Yéhouda était devenu la chair de ma chair. J'étais autant faite de lui que lui de moi.» Il devient sa petite chose, son garçon juif. Il deviendra sans le savoir, lui, le rebelle de sa communauté, l'objet d'une relation fantasmée dont la fuyante Neffeli est la seule à connaître les règles: «Mais regarde, esclave, c'est moi la première qui te devine derrière le judas de ta porte.»


Trahison multiple


Les douleurs du corps, le vide, l'absence, un peu de morbidité et de masochisme, une pincée d'abjection et d'érotisme subversif -- tout juste suggéré. Se mêle à tout cela aussi beaucoup de culpabilité, la litanie des plaintes et de la haine de soi qui viennent avec. Sous l'arrogance de Neffeli, il y a, on le sent bien, une soif de divinités intimes et d'abandon. De l'ordre de celui qu'elle devine lorsqu'elle arpente les trottoirs du quartier où vit la communauté hassidique: «Ici, personne ne se laissait. Constance et ordre. Je me jetais dans leurs bras noirs et blancs alors qu'ils les tendaient à d'autres enfants.»


Tassia Trifiatis insère dans le récit de cette trahison multiple, culpabilité à la clé, des lettres à «faire disparaître sans délai», à «adresser sans timbre ni adresse» ou à «effacer avec de l'eau», adressées à un fiancé qui ne les lira jamais. Des lettres avortées qui nous donnent à voir la profondeur du désespoir de la jeune femme.


Audacieux, poétique, exigeant, Judas nous laisse néanmoins l'impression par moments d'être un exercice un peu tarabiscoté où l'écriture, bien qu'intense et maîtrisée, demeure à dessein dans le vague, accumule en spirales les couches de mystère autour de cette passion froide -- comme si son projet lui échappait. Du reste, Tassia Trifiatis est une auteure à surveiller.

jeudi 24 janvier 2008

Chez Voir.ca...

É.P.
Dans la salle d'attente d'un hôpital de Montréal où elle se rend à la suite d'un avortement, Neffeli Lykourgos fait la rencontre de Yéhouda Leibovitz, jeune hassidique avec qui elle amorce une liaison interdite tandis que ses parents sont retournés en Grèce et que son fiancé soigne son père malade à Damas. Liaison empreinte de culpabilité et de faux-fuyants où chacun des deux amants trouvera avec l'autre une occasion de s'abandonner, mais aussi une matière à posséder, puis à trahir. Rappelant par moments L'Amant de Marguerite Duras dans l'expression d'un désir transgressif, le premier roman de Tassia Trifiatis annonce une carrière plus que prometteuse dans le monde des lettres. Malgré quelques tournures stylistiques et des motifs à la mode (multiculturalisme, couple interreligieux) et malgré un propos qui aurait gagné à être précisé, Judas fait preuve d'une habile maîtrise de la langue, le phrasé élégant de la jeune écrivaine épousant celui des corps enchantés et malmenés de ses personnages, de même que ses territoires réel et rêvé, du lieu de l'exil à la terre mythique des origines.

lundi 21 janvier 2008

La recrue du mois de février : Tassia Trifiatis - Judas

Mon triste plan se mettant en marche, le petit en moi s’allongeant dans mon esprit, Yéhouda mettait sans cesse son oreille sur mon nombril. Il serait un père exécrable. Je savais qu’il était trop puéril pour s’occuper de qui que ce soit. Il n’avait d’ailleurs jamais réussi à bien prendre soin de moi : il me quittait à perpétuité, me jetait sans pitié. Puis il revenait si souvent que je me mettais à vomir dès que j’entendais sa voix après une millième absence. En y réfléchissant bien, faire des enfants morts était la meilleure façon de couper des liens. Avec Haïthem aussi, cela avait bien fonctionné. Mais Yéhouda, étrangement, me suppliait sans cesse de le garder en moi. Il était mignon, au fond.

Entre ses trois hommes – Père, le placier de sa vie Haïthem le fiancé disparu et Yéhouda, sa nouvelle convoitise -, Neffeli cherche un enfant qui sort constamment de sa vie. Que verra-t-elle par le judas de la chair, lorsque Yéhouda, le garçon hassidique, retirera son sthreimel et ses habits séculaires? Fans le duel qui s’engage entre eux s’installeront, comme une fièvre rémittente, les règles douloureuses d’un conte cruel.

Réf. : Judas, Tassia Trifiatis. Éditions Leméac, 2007, 141 pages, ISBN : 978-2-7609-3287-6.

mardi 15 janvier 2008

Une balade cahin-caha

Le livre pourrait se résumer ainsi : Un jeune musicien français faisant face à un échec artistique se retrouve en Amérique du sud et se lie (d’amitié!) avec un dictateur.

C’est évidemment à une curieuse rencontre qu’on assiste qui n’est certes pas dénuée d’intérêt pour le lecteur. Toutefois, cette Balade en train assis sur les genoux du dictateur finit par tourner un peu en rond. L’histoire oscille probablement trop entre réalité et fantaisie. À plusieurs moments de ma lecture, j’aurais aimé que l’auteur me fasse basculer encore plus dans l’improbable, ce qui aurait permis au roman de réellement décollé.

Faut dire qu’il y a beaucoup de choses importantes qui clochent dans l’élaboration du récit. Tout d’abord, on ne croit pas un seul instant à la nationalité française du narrateur. Je ne comprends pas ce choix qui n’apporte strictement rien à son propos ni au déroulement de l’action. En faire un Québécois aurait ajouté une belle absurdité à l’ensemble et on aurait eu l’impression de se retrouver dans un univers éclaté ressemblant à celui du cinéaste Marc-André Forcier, ce qui n’aurait pas été désagréable.

Aussi, toute la partie traitant de l’industrie musicale est superfétatoire. C’est comme si le Stéphane Achille musicien ressentait le besoin d’étaler son expérience et les frustrations s’y rattachant à l’intérieur de son roman. Ça se fait malheureusement au détriment de l'auteur. Au début ça se mélange bien au reste, mais plus on avance plus on se demande pourquoi il revient sans cesse avec cette idée et ça devient forcé. Au niveau de l’écriture, beaucoup de répétitions inutiles que l’éditeur aurait dû faire corriger. Par exemple, au paragraphe qui termine la page 39 et qui empiète sur la page 40, le mot wagon revient à six reprises!

Malheureusement, ce sont autant de détails qui empêchent le roman de prendre réellement sa vitesse de croisière. Dommage, car cette balade en train cahin-caha avait tout le potentiel pour amener le lecteur vers une destination ludique et hors du commun.

Quelque part...

Un musicien raté, un dictateur en fin de parcours et un train qui mène nulle part, voilà ce qu'on trouve dans de ce premier roman de Stéphane Achille. Le musicien français ressemble plus à un québécois et l'on connaît seulement le prénom du dictateur Manuel, mais pas le nom de son pays qui est quelque part en Amérique... cela m'a agacé. Par contre, les chapitres sont concis, ironiques et se lisent vite et bien. Nous avons droit à des gestions internes, visite du domaine familial du dictateur, exécution d'un garde du corps, exécution technique, exercice de relation publique et des distrations imprévues, voilà pour l'action du roman. L'auteur fait un parallèle entre le monde du disque et la vie de dictateur. Sans agent, sans imprésario, sans maison de disque, sans distributeur, un disque même avec la meilleur volonté du monde ne peut se vendre et encore moins se hisser au palmarès des hits. Un dictateur sans argent, sans usine, sans plan, ne peut mener son pays à la richesse. La question est : il y a-t-il vraiment analogie entre ces deux mondes ? C'est pourtant ce que l'auteur me donne à croire.

« Je me suis laissé prendre à espérer. J'ai tout misé sur un projet qui dépendait de gens que je ne connaissais pas et qui se foutaient bien que je réussisse ou non. Était-ce trop demander que ça fonctionne, que j'aie un peu de chance ? » (p. 156)

Lequel du musicien ou du dictateur a dit cette phrase ? Les deux peuvent l'avoir dit... et l'auteur du roman aussi !

Même si certaines petites choses m'ont agacée dans cette lecture, j'ai bien aimé !

Balade intérieure

Balade en train assis sur les genoux du dictateur raconte l’histoire rocambolesque d’un jeune musicien paumé passé en visite à New York puis embarqué dans une curieuse équipée dans un vague pays sud-américain, en compagnie d’un dictateur. Le personnage central suit, un peu nonchalamment au début, le trajet en train de Manuel, un dictateur qui tourne en rond dans le but de repousser le moment où il rentrera dans la Capitale. Entre les deux personnages, une conversation. Presque un monologue, en fait. Celui du dictateur, exposant sa vision du pouvoir. À travers cela, la réflexion intérieure du personnage central qui raconte l’histoire à la première personne. On y suit ses déboires de musicien raté, ruiné par la production d’un premier disque qui n’a pas fonctionné. La fin du récit pourra en décevoir certains. Pour ma part, j’ai trouvé que la meilleure façon de comprendre ce roman était de voir dans les deux personnages une seule et même personne, confrontée à ses démons, ses frustrations et ses espoirs.

Récipiendaire du Prix Robert-Cliche du premier roman, Stéphane Achille réussit à sortir des sentiers battus avec son histoire un peu hors du temps et de l’espace. Pourtant, j’ai été peu convaincue par le décor, le scénario. On finit par avoir le sentiment que l’histoire, à l’instar de ce train qui tourne en rond, piétine. La grande force du roman est, à mon sens, son ironie décapante. Maintes fois, j’en ai eu le sourire aux lèvres. Les parties les plus réussies sont celles où l’on suit le musicien raté dans son parcours, dans ses espoirs déçus. Son regard acide et désillusionné sur le monde de la musique et ses rouages fait sans doute écho à une réalité vécue par l’auteur.

Que ce roman ait remporté le Prix Robert-Cliche en a surpris plusieurs. Mais ce n’est pas la première fois qu’un prix suscite la controverse.

En boucle

Stéphane Achille signe, avec Balade en train assis sur les genoux du dictateur, au titre extravagant mais qui veut pourtant tout dire, un premier roman difficile à classer. Selon les chapitres courts et bien découpés, le ton oscille entre celui de la métaphore politique, du conte philosophique, de la chronique de vie de trentenaire (par moments, le ton m'a rappelé celui de Stéphane Dompierre) ou même de la réflexion sur l'industrie de la musique telle que nous la connaissons aujourd'hui.

Un musicien paumé mais néanmoins attachant, franchement en marge de la société, débarque de Paris pour passer quelques jours à New York. (En passant, je n'ai pas cru un instant que le musicien était français et, à vrai dire, je ne vois pas en quoi cela ajoute à l'histoire, à part d'accumuler quelques clichés passablement éculés et de confondre le lecteur entre tournures de phrases québécoises et mots d'argot français saupoudrés ici et là.) Dépassé par le bourdonnement de la ville, il passe sa vie dans la chambre d'hôtel ou au restobar de l'hôtel, où il fait la rencontre assez improbable d'un dictateur sur le déclin. Lui qui est pétrifié face au moindre petit geste à accomplir accepte pourtant de suivre Manuel (mais a-t-il vraiment le choix?) dans ce pays mystérieux sans nom mais qui ressemble à tant de républiques bananières. S'amorce alors un étrange périple qui tourne en rond (littéralement) mais qui permet, progressivement, de plonger dans la psyché des personnages et de se poser une série de questions éthiques, dont plusieurs ne comportent malheureusement pas de réponse claire. Entre séance de torture chinoise (le dictateur passe en boucle le CD désavoué et force le musicien à faire face à ses limites) et d'électrochocs (le dictateur ne déroge à aucune de ses règles, même quand il sait pertinemment qu'il condamne un innocent), ce huis-clos rondement mené par Achille entrouve la porte de l'horreur brute. Quand le musicien tue une première fois, on reste estomaqué de la facilité avec laquelle il complète le geste, lui qui, pourtant, ne démontrait aucune aptitude à la violence.

Le style d'Achille est achevé, alerte et pourtant reste d'une belle accessibilité. Si la peinture des régimes totalitaires reste par moment volontairement grossière (comme si tout ceci n'était qu'un rêve, d'une certaine façon), celle du milieu musical est particulièrement décapante. Quiconque a eu maille à partir avec des techniciens de studio, des musiciens professionnels blasés, des agents inutilement gourmands ou des distributeurs incompétents, ne pourra qu'hocher la tête à la lecture de ces pans de l'histoire personnelle du musicien, dévoilée à petites touches. Une voix particulière mais juste, que je réentendrai avec plaisir dans un deuxième roman.

Une rencontre improbable !

Après la déception du mois dernier, me voilà réconciliée avec nos Recrues québécoises car même si ce premier roman ne m'a pas enthousiasmé autant que Les carnets d'Eddie, il me donne envie de suivre son auteur, Stéphane Achille !

Balade en train assis sur les genoux du dictateur nous raconte la rencontre improbable, mais pourtant bien réelle, d'un musicien raté français - le narrateur - et d'un dictateur d'Amérique du Sud, Manuel. Par des courts chapitres, le narrateur alterne son récit sur l'échec de son unique et seul disque dans laquel il pensait avoir tout investi - argent, temps et énergie - avec le récit de sa rencontre avec Manuel, président à vie d'un pays sud-américain jamais nommé, et leur voyage en train dans ce pays.

Cette rencontre va être l'occasion pour le narrateur de revenir sur son échec dans le domaine musical et d'en analyser les raisons probables, et en même temps, lui faire découvrir le pouvoir totalitaire et dictatorial dont Manuel s'applique à lui expliquer les tenants et les aboutissants.

Bien que ce roman soit bien écrit, dans une écriture simple et agréable, teintée d'humour, l'histoire ne m'a pas totalement emballé. Cette rencontre est totalement improbable et parfois, je me demandais - comme le narrateur se le demande aussi - comment il en était arrivé là, et notamment comment il en arrive à être sur les genoux de ce dictateur lors de leur balade interminable en train (le paroxysme de cette improbabilité !). Ca pourrait paraître loufoque, pourtant il ne semblerait pas vraiment que l'auteur ait pris le partie de la loufoquerie, en s'y jetant à fond dedans. Voilà donc un petit bémol pour moi ! Qui ne m'a pas empêché de vouloir absolument savoir comment allait se terminer toute cette histoire !

Mais je pense que ce petit bémol pourrait ne pas l'être pour d'autres lecteurs. Peut-être ai-je tout simplement loupé un engrenage ? Et surtout, pour moi, cela ne remet pas en cause le style de l'auteur. C'est pourquoi, c'est avec curiosité que je lirai son prochain roman !


A noter que :
...
ce roman a obtenu le Prix Robert-Cliche du Premier Roman en 2007.
... vous pouvez lire le début ICI.
... l'auteur, Stéphane Achille, est aussi musicien ! (Son site officiel)


PS 1 : Merci Carine (une amie française qui habite Montréal) de m'avoir offert ce roman !
PS 2 : Vous noterez, chers amis québécois, que je ne relève pas les généralités faites par Manuel sur les Français ! ;-)

Une balade qui m'a laissée sur ma faim

Ce livre porte sur la rencontre entre deux improbables amis, un jeune musicien français en quête de succès et un dictateur latino-américain en perte de pouvoir. Leur rencontre se transportera de New York vers le train du dictateur, train dans lequel se tissera cette étrange relation qui confrontera le narrateur à ses peurs, ses erreurs, sa violence.

Le roman est bâti comme une fable ne cherchant pas à se coller à une réalité historique et sociopolitique quelconque. On en remercie l’auteur. Le flou qui entoure le contexte politique de son histoire (il n’est pas étonnant d’ailleurs d’apprendre que l’idée de ce roman lui est venu en rêve) sauve la mise en l’empêchant de s’empêtrer dans des considérations qui l’aurait éloigné de son propos.

Mais quel est ce propos ? Les parallèles entre la carrière ratée du jeune musicien et la situation d’extrême tension dans laquelle il est plongé m’ont laissée sur ma faim. Pour ma part, je n’ai pas réussi à trouver convainquant les fils tendus entre les très courts chapitres qui évoquent sa décevante expérience d’artiste et ceux qui évoquent son voyage sur les genoux du dictateur.

Je ressors de cette lecture avec un étrange sentiment : j’ai apprécié ma lecture et en même temps je sens qu’elle ne m’a pas marquée. En même temps, il y a là une imagination et une créativité qui me laisse croire que Stéphane Achille pourrait nous revenir avec autre chose qui s’éloigne encore plus de sa réalité, encore plus éclaté.

Une question encore : pourquoi le narrateur est-il français ? Je n’arrive pas à l’expliquer clairement, mais cela m’a dérangée tout au long de la lecture. Pourtant il utilise bien des expressions françaises (comme baskets), mais il me semble qu’il s’exprime en québécois. Les tournures de phrase, la syntaxe, tout ça est profondément québécois des années 2000. J’ai hâte de lire ce que les autres ont pensé de ce point, me demandant vraiment si c’est moi qui chipote inutilement.

Un convoi original...

Que peuvent avoir en commun un musicien sans succès et un dictateur au bout de sa carrière? À mon avis, cet extrait résume assez bien l'ambiance de ce livre:

« C’était le mieux que j’avais trouvé à dire pour lui parler : j’avais envie de parler aux humains, ce jour-là. Je ne cherchais pas à raconter l’histoire de ma vie tragique depuis son commencement. Je voulais seulement adresser quelques mots, et ainsi de suite, au moins une fois dans ma journée. Une interaction humaine comme nous en aurions beaucoup plus si nous n’étions pas si civilisés. »
p.164

Une sorte de symbiose improbable entre deux personnages, où l’un trouvera matière à assurer son avenir, et l’autre, une solution pour mettre fin à la sienne? Chacun aidant peut-être l'autre à repousser ses limites personnelles? J’ai trouvé ce roman assez sympathique (dans un sens, il faut le lire pour comprendre!) et distrayant. Quelques évidences simples sur certains concepts : la peur de l’avion, l’implication d’une signature, la réalité d’une dictature, etc. Une redondance en ce qui concerne le fameux disque invendable, mais dans l’ensemble, je puis dire que j’ai pris plaisir à me retrouver entre ces pages.

Depuis le début de mon aventure chez La Recrue, c’est certainement mon roman favori.

lundi 14 janvier 2008

L'heure du bilan sonne son glas

Le personnage principal est un musicien français qui a misé le tout pour le tout, engloutissant toutes ses économies pour « s'auto-enregistrer ». L'expérience s'est avérée désastreuse, il en sort désabusé, au bord de la déprime. Cet être vidé de lui-même se retrouve à New York, enfermé dans sa chambre d'hôtel jusqu'au moment où un étranger l'entraîne à venir s'enfermer dans un train. S'amorce une relation à huis clos, malgré l'intervention de tierces personnes ou d'événements empreints de violence, c'est d'un face à face dont il s'agit, presque un duel entre un dictateur et un musicien, tous les deux ayant en commun l'heure du bilan. La construction du roman est ainsi faite que le personnage du musicien fait un retour en arrière de son côté, nous mettant à témoin des guet-apens du milieu du disque par un discours critique percutant, tandis que le dictateur, lui, le fait devant ce musicien qui lui doit une écoute soumise et active.


Je ne me suis pas ennuyée à suivre ces protagonistes bizarres, ces habitants confinés dans un wagon roulant. Je me suis sentie à la première rangée d'une scène où deux personnages se donnent la réplique. Les chapitres courts et bien cernés tombent comme des couperets. Il y a dans ce style et cette histoire quelque chose d'un peu solennel avec tout ce que le solennel a d'artificiel. Évidemment, pour tant soit peu arriver à éprouver du plaisir à ces réparties astucieuses, ces silences chargés, ces manipulations sordides, il faut accepter de jouer le jeu de l'homme pris en souricière par un dictateur à vie. Il faut endosser cette prémisse pour apprécier tous les jeux de chat à souris qui se déroulent sous nos yeux car, après tout, il y a ici un homme qui va s'assoir sur les genoux de l'autre ! La situation, le propos, l'ambiance, tout sonne un peu absurde et il est clair, à mon avis, que l'auteur l'a désiré ainsi, ne serait-ce qu'en considérant le titre, on le comprend !

Ce que j'ai le plus aimé est la critique sociale intelligente très bien servie par un humour cinglant. Un humour froid comme une lame qu'on laisse glisser entre deux omoplates. La brièveté des chapitres et les silences inévitables, le temps de tourner les pages, accentuent la lourdeur propre à cette histoire où la vie tient à peu. Par contre, la fin laisse un goût amer de bâclé. C'est malheureux, il y avait matière à prendre les éléments et les pousser d'une manière plus explicite... j'aimerais en dire plus, mais j'en dévoilerais trop.

Pour une première oeuvre, Stéphane Achille a nettement une signature particulière. La sobriété du style, l'intelligence du propos et l'originalité de la structure du texte sauvent les quelques maladresses.